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La crise sanitaire entraîne un boom des "circuits courts"

L'épidémie de coronavirus et les mesures de confinement chamboulent les circuits de vente des produits agricoles. Si certains producteurs souffrent de la situation, d'autres, grâce aux circuits courts, se montrent plus résilients. Tour d'horizon dans la vallée...


« J'ai perdu 70% de mon chiffre d'affaires sur le mois de mars. » Fabrice Magnet, éleveur de porcs bio à Soyans et gérant de la charcuterie Label Cochonne, accuse le coup. A peine un mois après le début du confinement, il commence tout juste à sortir la tête de l'eau. Au début de la crise, il s'est tout simplement retrouvé dans l'impossibilité d'écouler ses productions : « L'annonce de la fermeture des marchés nous est tombée dessus du jour au lendemain, on ne savait plus où aller », raconte-t-il. Avec une question existentielle : comment vendre au plus vite sa production pour limiter les pertes ?

Comme beaucoup d'autres petits producteurs, Fabrice ne disposait jusqu'alors que de peu de débouchés pour écouler ses produits : un stand au marché de Crest le mardi, un autre à celui de Montélimar le samedi. Et deux petits revendeurs à Valence et à Pont-de-Barret... Il lui a donc fallu au plus vite changer son fusil d'épaule : « Petit à petit, raconte l'éleveur, des choses se sont mises en place, je fais quelques livraisons, je propose des produits sur des ventes à la ferme, dans des "drive", et le marché de Crest a partiellement repris ». Point commun entre tous ces nouveaux canaux : ils relèvent de ce qu'on appelle les circuits courts. À savoir : pas plus d'un intermédiaire entre le producteur et son client.

BONNES IDÉES, ENTRAIDE ET SYTÈME D

À la Chambre d'agriculture de la Drôme, on constate qu'une « réorganisation des circuits est en train de se faire, au sein même des filières courtes ». Nathalie Seauve, conseillère en diversification et en circuits courts, observe actuellement un foisonnement d'initiatives et d'idées chez les producteurs habitués au "court". « C'est le système D, les producteurs inventent de nouveaux systèmes pour trouver des débouchés, avec des paniers, des ventes à la ferme, ou même des livraisons », précise-t-elle.

À la ferme des Blaches, à Crest, Didier Portier a dû diviser la production par deux (passant de 800 à 400 poulets), recourir à du chômage partiel, et trouver un moyen de remplacer les marchés, qui représentaient 60% de ses débouchés commerciaux. « On n'a plus qu'un marché et demi, (Chabeuil et Crest une semaine sur deux) au lieu de sept habituellement », se désole-t-il, estimant que la crise risquait de faire perdre à l'exploitation familiale la moitié de son chiffre d'affaires. Alors, l'éleveur se démène pour trouver, tant bien que mal, des solutions : « On a augmenté les horaires d'ouverture de notre boutique, et beaucoup de gens du Crestois jouent le jeu, précise Didier Portier. On fait aussi des livraisons, et on commence à trouver d'autres pistes, donc je suis optimiste, on va passer ce cap. »

La ferme de l'Auberge, à Divajeu, n'a pas non plus manqué d'idées pour écouler ses légumes bio. Avant la crise, 100% de sa production était destinée aux marchés de Crest du mardi et du samedi. « Quand l'annonce de la suspension des marchés a été faite, un lundi soir, tous nos produits étaient déjà dans le camion ! Ça a été un peu la panique », raconte David Millet, maraîcher à l'Auberge. En urgence, les agriculteurs organisent une vente directe dans la grande cour de la ferme, dès le lendemain matin. Une vente improvisée qui s'est vite transformée en un petit « marché de substitution », s'amuse David : quelques producteurs des environs, également dans la panade, se joignent à l'initiative. Dans la cour : un maraîcher venu de Marches, un fromager de la Roche-sur-Grâne, un boulanger, et quelques autres... « On a réussi à tout écouler, en respectant bien entendu les mesures barrières et les règles de distance sanitaire », raconte David.

« EXPLOSION DE LA DEMANDE »

Comble de l'histoire : les producteurs divajois, qui avaient peur de devoir jeter leur surplus au compost, se retrouvent finalement submergés par la demande. « On a reçu énormément de commandes et on ne peut pas toutes les satisfaire », assure David. Une situation surprenante, mais qui est loin d'être exceptionnelle... Un peu plus au nord, à Vaunaveys, le Gaec Cetera est lui aussi confronté à « une explosion de la demande », confirme Laurent, l'un des paysans associés. « Il a fallu revoir notre façon de travailler, précise-t-il. On a dû embaucher un salarié, car avec les enfants à la maison, on ne pouvait plus assurer notre travail habituel et satisfaire cette nouvelle demande ». Une demande si forte qu'elle a même contraint les trois associés du Gaec à refuser « 1000 euros de commandes la semaine dernière », s'étonne Laurent.

Le constat est le même dans les Amap locales (Associations pour le maintien d'une agriculture paysanne). Céline Sin, membre du bureau de l'Amap du Val de Drôme, qui distribue ses paniers à Crest tous les jeudis soir, n'a pu que constater la très forte hausse de la demande ces dernières semaines. « Beaucoup de gens ont voulu nous rejoindre, et nous aurions souhaité nous ouvrir davantage, mais malheureusement, on n'a pas pu accueillir de nouveaux venus parce que nos producteurs n'étaient pas en mesure de répondre à cette demande », raconte-t-elle un peu dépitée.

Au magasin de producteurs La Charrette, à Crest, on trouve tout juste le temps de répondre aux questions du Crestois, tant les clients se pressent aux portes de la boutique ! « Notre clientèle a été multipliée par trois, on est débordés et nos ventes ont explosé », assure Nathalie Martin, maraîchère à Crest et associée dans la société (avec 18 autres producteurs locaux). Idem à Brins de Terroir, à Vaunaveys, où « les clients sont venus nombreux et ont fait des achats en quantité au début du confinement », raconte Camille, qui y est vendeuse.

LES GROUPEMENTS D'ACHAT PEINENT À SATISFAIRE LA DEMANDE

Le petit Mimi Marché de Piégros la Clastre, n'est quant à lui plus si petit que cela... Il s'est littéralement transformé ses trois dernières semaines. Le groupement d'achat, qui rassemble tous les vendredis soir, au cœur du village, des producteurs du coin et des consommateurs, a dû changer d'échelle pour répondre à la forte hausse de la demande : « D'habitude, précise Éric Escande, membre actif de l'association, on fait 20 à 25 paniers par semaine. Mais vendredi dernier, on était à 78 paniers. Et ce sont de gros paniers... On a distribué environ 3000 euros de marchandises en une heure, c'est 10% du chiffre annuel ! »

Pour satisfaire la demande, les bénévoles du Mimi Marché ont dû se démener pour trouver de nouveaux producteurs. Pas évident car ceux-ci sont justement sollicités de toutes parts... Ils ont toutefois pu distribuer les produits de Fabrice Magnet, le charcutier soyanais de Label Cochonne, et aussi écouler quelques produits des Divajois de la ferme de l'Auberge, ou des Montoisonnais du Gaec de la Cavale. « On n'a pas été débordé parce que beaucoup de gens sont venus aider, l'un allant chercher les œufs à Eurre, une autre allant chercher les pains chez Houari... On était sept ou huit pour la distribution, alors qu'on est trois habituellement ». Mais il n'empêche : la demande n'a pu être satisfaite que partiellement, et « aujourd'hui, on a une proposition de produits finalement assez pauvre », constate Éric.

L'association Agricourt, qui souffre particulièrement à la suite de la fermeture de nombreuses structures de restauration collective, a en revanche vu exploser son offre destinée aux particuliers. Avant la crise, "l'éco-drive" d'Agricourt distribuait une quinzaine de paniers par semaine. Le mercredi 1er avril, ce sont près de 10 fois plus de commandes qui étaient préparées par l'association eurroise (129 commandes). Mais pas de quoi, hélas, combler les pertes subies par ailleurs. « L'important pour nous, explique Françoise Pruvost, la trésorière de l'association, c'est que les canaux restent ouverts, que des flux se maintiennent, comme une source qu'il faut à tout prix empêcher de tarir. » L'association lance d'ailleurs un appel aux producteurs qui peinent à trouver des débouchés et souhaiteraient bénéficier de son réseau de distribution.

« SI LE CYCLE SE ROMPT, CE SERAIT LA CATASTROPHE »

De tous ces témoignages, on peut tirer une conclusion : satisfaire toute la demande des consommateurs de la vallée en produits locaux semble aujourd'hui une mission très difficile à remplir. Les Amap ou les groupements d'achats peinent à trouver assez de producteurs, et les producteurs eux-mêmes sont obligés de refuser des commandes. Une tension qui inquiète Laurent, paysan au Gaec Cetera : « On ne pourra guère faire plus pour répondre à ce marché. » Avant d'avertir : « Il faut faire attention, aujourd'hui, on est au jardin, on travaille, mais on est à flux tendu. Et si le cycle d'approvisionnement dont on dépend venait à se rompre, je pense à notre semencier par exemple, ce serait la catastrophe... »

Moins alarmiste, Éric Escande, du Mimi Marché, estime néanmoins que « cette très forte demande pose la question de la souveraineté alimentaire, » et remarque que « ce genre de crise sollicite les capacités de résilience des territoires » (cf. notre article sur le sujet). Avant de constater : « En cas de crise, les gens ont envie de se rapprocher des producteurs qui vivent dans leur voisinage immédiat, d'une part pour les soutenir, mais aussi parce que des circuits courts et locaux sont une garantie de sécurité dans l'approvisionnement. »

« On est plus petits, mais on est plus costauds, et on est plus nombreux, abonde Laurent, du Gaec Cetera. Aujourd'hui, ceux qui ont des problèmes, ce sont les gros producteurs. » Même conviction à la ferme de l'Auberge : « Quand on a peu de débouchés, on se retrouve coincés, estime David. Les circuits courts y gagnent, et à long terme, ça va accélérer la transformation vers une agriculture locale, plus petite, plus résiliente ». Optimiste, le maraîcher veut voir dans cette crise une occasion pour les agriculteurs de remettre en question leurs pratiques : « Ça nous fait prendre conscience qu'il faut maîtriser nos circuits de vente pour pouvoir rebondir. »

VERS UNE RÉVOLUTION DE LA DISTRIBUTION ALIMENTAIRE ?

Une question néanmoins demeure : si les plus petits agriculteurs pourront, pour la plupart, trouver les moyens de rebondir, comment les grosses exploitations réagiront-elles à la crise ? Si elles sont peu nombreuses dans notre secteur, ces exploitations nourrissent en revanche bon nombre d'habitants de la vallée. Leurs exploitants, recourant à une main-d'oeuvre importante, ne pourront certainement pas assurer, pendant la durée du confinement, la même production qu'en temps normal. Le récent appel du ministre de l'agriculture en est d'ailleurs une confirmation implicite : le 24 mars, Didier Guillaume en appelait aux inactifs pour cause de confinement à rejoindre « la grande armée de l'agriculture française », espérant recruter 200 000 ouvriers agricoles parmi « les serveurs », « les hôtesses d'accueil d'hôtel » ou encore, les « coiffeurs » au chômage technique...

« Dans les jours et les semaines à venir, nos exploitations agricoles seront demandeuses de personnel, précise Céline Chamoux, directrice de la Fédération départementale des syndicats d'exploitants agricoles de la Drôme (FDSEA 26). De nombreux salariés agricoles venaient des pays de l’Est, d’Italie, d'Espagne, ou du nord de l’Afrique, et suite au confinement et à la fermeture des frontières, ce personnel ne pourra plus venir travailler sur nos exploitations », confirme-t-elle. Avant d'appeler ceux qui le peuvent et le souhaitent à venir prêter main forte aux agriculteurs français (pour les agriculteurs dans le besoin et pour les candidats, plus d'infos par ici).

« Ce qu'oublie de dire le ministre, c'est qu'on en est là parce que cette main d'oeuvre vient de loin et qu'elle est mal payée, voilà pourquoi elle n'est pas là aujourd'hui ! », réagit David, de la ferme de l'Auberge, par ailleurs adhérent à la Confédération paysanne. De son côté, Vincent Delmas, maraîcher et éleveur de brebis à Salettes, et porte-parole de l'antenne drômoise du syndicat agricole, ne peut pas s'empêcher de voir dans la crise actuelle une confirmation des idées qu'il défend depuis des lustres : «  Il y a urgence à relocaliser l'économie, on ne peut plus continuer à chercher à produire toujours moins cher, toujours plus loin . »

« La crise actuelle prouve que les circuits courts sont très résilients, abonde Céline Sin, de l'Amap du Val-de-Drôme. Notre situation est hyper-avantageuse, le confinement n'a absolument rien changé pour nous, on est toujours approvisionnés, on n'a eu aucune rupture, et pour certains producteurs, les commandes ont même augmenté ! » Selon elle, les Amap, conçues autour de l'engagement réciproque entre producteurs et consommateurs, offrent aux premiers une garantie de débouchés, et aux seconds une assurance d'être approvisionnés en produits frais.

Peut-on pour autant voir dans la réorganisation actuelle des circuits de distribution le début d'un changement de modèle ? « Les réseaux qui se créent aujourd'hui sont peut-être durables », veut croire Éric Escande, du Mimi Marché, qui s'interroge toutefois : « Est-ce qu'à la fin, les gens retourneront vers les grandes surfaces et les produits qui viennent de loin ? » Pour Nathalie Martin, du magasin La Charrette, il faut se garder d'être trop optimiste : « Après la crise, les gens auront moins de temps, ils reprendront leur rythme et leur train de vie. »

En attendant, Laurent, du Gaec Cetera, préfère profiter de l'instant présent : « Au jardin, on est heureux, il n'y a plus un avion dans le ciel, plus le bruit d'une voiture, c'est le bonheur... C'est un gros bazar, mais un bazar qui peut réveiller les conscience. En tout cas, je l'espère. »

Martin Chouraqui

Publié le 10 avril 2020

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