Ces épidémies qui ont bouleversé notre région

Ca n'est pas d'aujourd'hui que le Val de Drôme est atteint par une épidémie. Tout au contraire ! Au fil des décennies, notre petite région a été passablement touchée...

La pandémie de coronavirus qui nous frappe doit nous inciter à regarder ce que notre histoire régionale nous apprend à cet égard. Il se trouve, en effet, que nous avons le triste privilège d’être dans une région qui a été durement atteinte au fil des décennies : épidémie de pébrine (la maladie du ver à soie), épidémie du phylloxera, épidémie de grippe espagnole, enfin dévastations de la cicadelle dans les plantations de lavande. On pourrait être tenté de dire que trois sur ces quatre ne concernent pas la santé humaine. Certes, mais elles ont puissamment atteint les modes de vie au point de largement contribuer à l’exode rural et, en conséquence, de bouleverser beaucoup de vies.

Le fait que la maladie du ver à soie, commencée vers 1853, se télescope avec la crise du phylloxera, vingt ans plus tard, va littéralement ruiner toute une économie paysanne. Les cocons de vers à soie et les quelques dizaines de litres de vin que l’on vendait en sus de sa consommation familiale apportaient des revenus de complément essentiels aux budgets des fermes. En effet, le monde paysan d’alors, à la différence de celui d’aujourd’hui, additionnait les petites rentrées d’argent: un peu de fromage, un peu de vin, un peu de cocons, un peu d’élevage, un peu de céréales. C’était le système d’alors.

L’épidémie de la pébrine (et de la flache) touchant les élevages de cocons a des effets radicaux: Livron qui récoltait 93 tonnes de cocons en 1854, chute à 58 tonnes cinq ans plus tard; Loriol passe de 63 à 16 tonnes; Cliousclat de 9,6 tonnes à 1,6 tonnes; Chabrillan passe de 200 sériciculteurs en 1868 à 70 deux ans plus tard. C’est un effondrement. En 1861, il y a 2330 hectares de vignes dans le canton de Montélimar; en 1892, il en reste, en tout et pour tout, 13. Les deux phénomènes combinés sont évidemment dévastateurs.

GÉNÉRATION MAUDITE

Or, il faut remarquer qu’un jeune homme qui a vingt ans en 1850, en a 70 en 1920. C’est-à-dire que cette génération qui aura, au surplus, du subir la grippe espagnole de 1918 à 1920, est littéralement une génération maudite. Elle a tout vu s’effondrer ce que les variations de population retracent bien. Prenons le cas d’une commune très favorisée comme Mirabel et Blacons, qui a la chance d’avoir une belle industrie papetière soutenant l’activité.

Il lui faut un siècle à partir de 1851 (début de l’épidémie de pébrine) pour retrouver 550 habitants puis progresser durablement. Certes ce chiffre a pu être dépassé, par périodes, précédemment mais c’était pour rebaisser très vite. C’est seulement à partir de 1954 que cette commune est durablement sur une pente ascendante. Vercheny devra attendre 2006 pour retrouver le niveau de 1851. Saillans ne l’a de très loin pas retrouvé aujourd’hui. Divajeu l’a retrouvé entre 2006 et 2011! Bref, ces épidémies, jointes évidemment à la guerre de 14 et à l’enchaînement immédiat de la grippe espagnole, ont été des chocs épouvantables.

LE MYSTÈRE DE LA GRIPPE ESPAGNOLE

Le comble est qu’aujourd’hui encore nous ne mesurons pas certains phénomènes malgré les progrès de nos connaissances. Ainsi, nous ne saurons sans doute jamais quel fut l’impact de la grippe espagnole. Certes, des estimations concernant Valence suggèrent un chiffre de 300 victimes pour une ville d’alors 28 000 habitants, à additionner aux 750 considérés comme des victimes des pénuries de la grande guerre. Mais comment classer les décès observés jusqu’en 1925, voire au-delà ?

Tous les témoignages nous disent que des individus affaiblis par le double choc de la guerre puis de l’épidémie sont morts précocement dans les années ultérieures. Mais combien ? Comment décider si celui-ci est mort, comme l’on dit, "de sa belle mort" ou celui-là des conséquences de la maladie dont il avait réchappé ? Les généalogistes de la Gervanne nous disent, avec prudence, que "très probablement", la grippe espagnole y a fait plus de victimes que la guerre. Mais au juste combien ? Nul ne sait. Ceci sans rien dire de l’effet immesurable de cet affaiblissement sanitaire sur la propagation ultérieure bien connue de la tuberculose qui a frappé tant de familles.

MAUVAISE MOUCHE

Un mot enfin sur les dévastations, ces vingt dernières années, de la cicadelle, cette mouche venue d’Afrique du Nord, sur nos champs de lavande. Sans doute, le nombre de personnes concernées est infiniment moindre. Mais l’ampleur des dégâts en termes économiques est très comparable, du moins pour ceux-là. Pour peu qu’on les écoute, ce que l’on fait trop rarement, on apprend que certains ont perdu jusqu’à 40% de leurs revenus, en gros l’équivalent de la perte des revenus des cocons. La seule différence est qu’aujourd’hui les lavandiculteurs sont peu nombreux. Mais leur peine fut aussi grande.

L’épidémie du coronavirus pourrait être, nous disent certaines voix, le prétexte à une réorganisation en profondeur de notre société et de notre économie. Peut-être, nul ne sait. Mais observons qu’une très profonde, radicale et douloureuse réorganisation a bel et bien eu lieu du fait d’événements comparables dans le passé… et que nous en avons perdu conscience.

Jacques Mouriquand

Article paru le 23 mars 2020 dans la rubrique Mag'

À voir sur ce sujet, le reportage de Vidéos Val de Drôme :

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