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Vent mauvais pour les vieux

Tribune du 18 décembre 2020 de Madeleine Melquiond.

Depuis le début, le Covid a réservé à de nombreuses personnes âgées le pire sort : la mort dans la solitude. L’opinion s’en est émue, mais sans excès. Ces décès ont été traités comme une petite avance prise sur notre condition mortelle (Je ne parle pas ici des familles et amis des disparus). Car les vieux ne sont pas intéressants, les vieux n’intéressent pas, Covid ou pas. Révolu le temps où on les appelait les « Anciens » et où on respectait leurs conseils.

Loin de moi l’idée de généraliser ce mépris des vieux, car il existe des institutions, des associations, des lieux de soins pour les aider à supporter certains inconvénients de l’âge, et de nombreuses familles qui les entourent de leur affection. Cependant, outre le virus qui nous concerne tous, j’ai senti, dans telle petite bourgade de notre vallée, souffler un vent mauvais. Des manières de les traiter, de leur parler, de les écouter, une façon railleuse de les aborder, une écoute à peine polie de leurs propos, considérés comme périmés. Les vieux ont passé la date de péremption, encore heureux si on les tolère.

Sans doute avez-vous remarqué que, dans cette bourgade, comme dans bien d’autres, « on » s’occupe des vieux, de façon à leur assigner des territoires précis : les EHPAD, les « villages » de vieux aménagés pour eux, le foyer où ils peuvent se restaurer pour pas cher, quelques surfaces pour leurs ébats sportifs, comme les jeux de boules. C’est là que sont concentrés les vieux avec une tolérance particulière aux comptoirs de quelques bistrots où ils sont agrégés ensemble, à part des autres. Dans le cas des bars, précisons que cette indulgence concerne les vieux, mais pas les vieilles qu’on ne voit presque jamais juchées sur des tabourets. Je n’emploie par de grands mots comme apartheid ou ségrégation, ils n’ont pas lieu d’être. Mais bon, chacun dans son coin et les vaches seront bien gardées. J’ignore, je l’avoue humblement, si les vieux sont satisfaits d’avoir leurs « endroits à eux », s’ils se réjouissent d’avoir « leur » galette des rois et « leur loto ».

Lecteurs, ayez conscience de la mutation rapide qui vous transmute de « senior » à « vieux ». Disons 75 ans, environ. Le « senior » actif, sportif, bénévole et sympa, disparaît soudain du paysage Notre société offre le spectacle d'un passage hâtif et discret au statut de « vieux », personnage inerte, peu visible, comme incorporé aux murs. Ma grand’mère m’a souvent dit : « Tu verras, après 70 ans, tu dois être une souris grise trottinant contre des murs gris ». Elle disait vrai car le « vieux » n’est toléré que s’il adopte un certain comportement.

Primo, il (elle) doit être discret(e) , modeste, ne pas se faire remarquer en parlant fort (la voix du vieux ou de la vieille est par nature faible et timide, sauf les cas de handicap auditif), ne pas faire de grands gestes, se livrer à des envolées lyriques ou colériques. Il lui faut écouter plus que parler, opiner le plus souvent, sinon objecter avec retenue. Prenons une terrasse de café, exemple facile à observer. Le vieux, s’il est là, est vêtu de façon neutre, son visage empreint de sagesse est ridé certes, mais souriant. S’il advient qu’il vacille en marchant et rabâche toujours la même histoire, on sera indulgent. S’il y va trop fort on lui lancera un « va cuver ailleurs ». Lorsque, à cette même terrasse, une vieille parle haut, défend son point de vue avec énergie, part d’un grand rire ou fait des gestes larges pour exprimer son enthousiasme ou sa désapprobation, alors ça ne va plus du tout, du tout. Nombre de consommateurs – je n’ai pas dit tous - rient en douce, se donnent des coups de coude, murmurent « elle est toquée » ou « fada », j’en suis le témoin involontaire. Les rires gras des jeunes gens, leurs histoires salaces cachées sous l’adjectif « humour », les petites privautés qu’ils se permettent avec les jeunes filles sont considérées comme dans l’ordre des choses. Seules les bagarres sont désavouées, voire réprimées.

Mais s’il advient qu’une vieille s’affiche avec un amant, surtout s’il est plus jeune, monte un bruissement. « Quelle honte ! C’est de la lubricité ! Elle s’est pas regardée, celle-là ? » Ce bruit, cette rumeur pourrait-on dire, signifie que la vieille n’a plus aucune valeur sexuelle, n’éprouve plus de désir. Elle cache sous sa jupe des organes atrophiés, des lèvres sèches, ridées et pendantes comme figue sèche. Comment ose-t-elle ? Et le compagnon, que peut-il donc lui trouver ? Ceux qui pensent ainsi (je répète que ce n’est pas général) devraient, au contraire, se dire que la sexualité qui est le souffle vital même, ne nous quitte qu’avec la vie et c’est tant mieux. Que celles qui dénigrent les vieilles amoureuses pourraient se demander si elles n’auraient pas plaisir à devenir, un jour, de vieilles amantes ?

Plus largement je redoute que certains de nos compatriotes ne stagnent dans un âge moyen, entre adulte et jeune senior, où ils ont de plus en plus de difficulté à construire leur vie. Je crains qu’ils ne soient pris en tenaille entre bouffées adolescentes et sagesse de patriarches. Chacun et chacune sont libres de leur choix. J’ajoute : à tous les âges de sa vie. Peut-être que certains (et certaines), au lieu de se la jouer « éternel jeune », pourraient regarder en face leur inéluctable vieillissement.

Madeleine Melquiond, une « vieille »

Tribune publiée dans Le Crestois du 18 décembre 2020

 

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