Les Aventures d’Eugène

Texte : Gaëtan Trolliet.

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Résumé de l'épisode précédent : Eugène se trouve chez son ami Paul et lui relate les histoires de son père quand une jeune femme fait irruption dans la pièce pour échapper à une brigade de la Sûreté.

Épisode 14 : En cavale !

où les personnages d’Eugène et de Marinette se rencontrent enfin.

Paul ouvrit la fenêtre sans attendre et s’adressa aux brigadiers :

– Messieurs ! Je l’ai vue ! Elle a pris à droite, par là-bas !
– Merci Monsieur Jullien ! Au nom de l’Empereur, arrêtez-vous !

Le calme revint peu à peu dans la pièce. La jeune femme tremblait, toujours appuyée contre le pied de la table. Les mains plaquées au sol, elle nous regardait à tour de rôle sans discontinuer. Sa robe était tachée de terre et son chignon ne tenait plus depuis longtemps. Dans ses yeux noirs et écarquillés, on pouvait lire la détresse. Qui était-elle ? Que faisait-elle ici ? Pourquoi la garde civile la cherchait-elle ? Je restais prostré dans mon fauteuil, ne sachant que faire dans cette situation quand je vis que Paul s’approchait prudemment de la table.

– Comment t’appelles-tu ?

Elle ne répondit pas et se crispa un peu plus.

– Moi je m’appelle Paul. Et lui, là-bas, c’est Eugène.

Elle jeta un œil furtif dans ma direction et recula encore, faisant grincer le pied de table sur le sol en pierre.

– Nous ne te voulons aucun mal. Tu n’as rien à craindre. Tu veux boire de l’eau ?

À ces mots, elle hocha la tête et saisit la timbale que lui tendait mon ami. Elle semblait s’apaiser petit à petit et Paul fit un deuxième service.

– Viens t’asseoir. Viens manger un morceau.

Il amena du pain et un reste de fromages et invita la jeune femme à se servir. Elle se hissa timidement le long de la chaise et s’installa à table, les bras ballants et le regard aux aguets. Lentement, Paul lui tendit une tartine et en profita pour s’en faire une à lui aussi. Discrètement, il m’invita à me joindre à eux. Je déclinai poliment la tranche de pain qu’il me tendait puis amorçai la conversation à mesure que je m’asseyais sur une chaise vacante.

– C… comment… comment vous appelez-vous, mademoiselle ?

Elle prononça quelque chose que personne ne comprit à cause de la quantité de pain qu’elle avait dans la bouche et, face à notre silence, elle redoubla d’efforts pour mâcher. Après qu’elle eut dégluti comme si elle avait avalé une boule d’argile, elle lâcha enfin :

– Marinette !
– Ah ! C’est joli… Marinette, hasardai-je. Et… que faites-vous là, Marinette ?

C’est alors qu’elle se lança dans une loghorrée frénétique en patois que Paul s’empressa d’interrompre, toujours très courtois :

– Attendez attendez ! Mademoiselle ! Je vis ici mais je voyage beaucoup et ne suis plus habitué au patois. Est-ce que vous parleriez français ?
– Oui, mais ce sera moins bien.
– Ça sera parfait, ne vous en faites pas.

Elle posa le reste de sa tartine sur la table et nous défia du regard. Elle avala sa bouchée, s’essuya les lèvres avec son tablier poisseux et but une gorgée d’eau. D’une voix déterminée, elle commença son récit :

– J’ai été emmenée ici par deux hommes qui ne parlaient pas français. Ils m’ont gardée prisonnière et m’ont posé des questions sur ce que j’avais vu. Ils s’habillent de façon étrange avec des capes et des masques. Je me suis enfuie. Mais ils ne sont pas loin d’ici.
– Mais… qui sont-ils ? La police ?
– Non, pas la police. Des gens qui parlent une autre langue et qui portent des masques dans une cave, c’est pas la police ! Leur chef parle français, par contre.

La mâchoire de Paul était descendue d’un cran pendant que j’écarquillais les yeux du plus grand qu’il fut possible. Que nous racontait donc cette jeune femme ? Paul brisa la glace, mais je reconnus dans son intonation comme une forme de scepticisme.

– Et que… qu’est-ce qu’ils voulaient ? Enfin, je veux dire : pourquoi vous ont-ils fait prisonnière ?
– J’étais allée chercher de l’aide à Beaufort. Et c’est là qu’ils me sont tombés dessus.
– De l’aide ? Mais pourquoi ?
– Mais peuchère ! À cause des papillons, tiens !
– Des… des papillons ? trébuchai-je, la voix haut-perchée tout à coup.
– Oui, des papillons ! Plein de papillons ! Et des animaux qui ont détruit ! Parce qu’ils les ont rendu complètement fous, les papillons ! Alors je suis allée chercher de l’aide au village. Mais personne ne m’a crue et les deux […..] m’ont emmenée.
– Mais… enfin… quel rapport entre votre enlèvement et les papillons ?
– À cause que, eux aussi, ils en ont, des papillons dans leur cave. Enfermés dans une boîte en verre.

Paul planta ses yeux dans les miens et me demanda :

– Eugène, tu crois que ce sont…
– Les types louches ? Oui j’en ai bien peur… Mademoiselle, ces papillons ils étaient…
– Blancs et vivants. Et quand ceux avec les masques se mettaient à chanter, ils volaient encore plus vite.
– Incroyable !
– Pourquoi incroyable ? Vous aussi vous les connaissez, les papillons ?

Il y eut un silence pendant lequel tout le monde se toisa. Paul se ragaillardit soudain :

– Vous ne pouvez pas rester ici mademoiselle, il faut vous cacher quelque part.
– Je vais rentrer chez moi, à Ansage.
– Non, nous avons encore des choses à nous dire. Il faut que vous restiez encore un peu !
– Mais… Paul, où veux-tu qu’on la cache ?
– Eugène, tu m’as bien dit que Basquiat vivait à l’extérieur de la ville ?
– Oui… il m’a laissé son adresse avant de partir…
– Eh bien c’est là que nous irons. Chez Basquiat !
– Est-ce que je peux dire quelque chose ? tenta Marinette.
– Non, c’est décidé ! lança Paul en s’éloignant. Je vais m’habiller !

Marinette le suivit du regard. J’ai alors pensé que si elle avait eu des arbalètes à la place des yeux, Paul aurait fini comme un panier percé. Elle avait les sourcils froncés et la moue qu’elle adressait à mon ami faisait remonter un grain de beauté qu’elle avait sur l’arrête du visage. J’ignorais quel âge elle avait, mais il ne devait pas être éloigné du mien, une vingtaine d’années, tout au plus. On entendait Paul chanter à l’étage, mais ni elle ni moi n’osions prendre la parole. Je lui lançai un sourire embarrassé puis fis mine de récupérer mon manteau, m’apprêtant à partir. Elle se leva pour aller attendre au coin du feu et se réchauffer les mains.

– Bon alors ! Vous êtes prêts ?

Paul souriait de toutes ses dents, finissant d’ajuster sa ceinture et il proposa à Marinette de lui prêter un manteau qu’elle refusa en se dirigeant vers la porte.

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Épisode publié dans Le Crestois du 8 décembre 2023

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