La grande crise du monde rural
Le sentiment d'abandon gagne face à la toute puissance du monde urbain.
Il arrive que des événements se téléscopent. C'est le cas, actuellement, dans notre région comme dans d'autres régions rurales. Il s'y trouve que notre principale ligne de chemin de fer fait l'objet de menaces anciennes et récurrentes. Le rapport tout récent de M. Jean-Cyril Spinetta sur la SNCF ne peut que raviver les inquiétudes, même s'il semble que le gouvernement ait refusé de le suivre. Mais gare! Le diable est dans le détail.
Il se trouve, plus généralement, que les transports ruraux sont très insuffisants.
Il se trouve que notre région est l'objet d'attaques de plus en plus fréquentes de loups sur des troupeaux, particulièrement de moutons.
Il se trouve que la maternité de Die vient de fermer.
Il se trouve que, depuis, plusieurs années, La Poste ferme ses bureaux ruraux contraignant celles des communes qui veulent les conserver à prendre à leur charge les frais de leur maintien et contraignant ainsi les habitants locaux à une double peine. Ils paient l'affranchissement de leurs envois comme tout le monde, mais ils paient aussi, par leurs impôts, le bureau local.
Sur des périodes plus longues, il se trouve que, dans nos villages, particulièrement à l'Est de la région, le pourcentage de foyers payant l'impôt est faible, en raison, évidemment, de revenus modestes. Conséquence de tout ceci : il se trouve que l'institut de sondage Odoxa vient de demander aux Français auquel des principaux hommes/femmes politiques (Mme. Le Pen, MM. Mélenchon, Macron et Wauquiez) ils faisaient confiance pour régler les problèmes du monde rural. Il n'y en a pas un qui obtienne la moyenne et de loin !
Toutes ces données se trouvent ici réunies parce qu'elles sont venues à la connaissance du public à peu près au même moment. Mais le climat qu'elles créent, par addition, aboutit à un sentiment d'abandon et, pire encore, d'être méprisé.
De ce point de vue, la méconnaissance crasse des décideurs de la haute administration de la réalité vécue dans le monde rural est dévastatrice et aggrave les ressentiments. Ainsi, par exemple, ce maître-mot de "métropoles" par le développement desquelles tout devrait passer. L'idée peut se résumer ainsi : la mondialisation est le grand phénomène qui domine la planète. Seules les grandes métropoles (pour nous Lyon, plus précisément) sont à la hauteur du phénomène par le nombre de décideurs qui y sont connectés avec le monde entier. Donc le reste alentour n'est plus qu'un terrain de jeux pour citadins fatigués et qui, de toutes façons, s'il veut survivre, doit jouer le jeu des fameuses métropoles.
Or, il y a, dans nos territoires, de nombreux innovateurs, bricoleurs atypiques qui exportent leurs productions dans le monde entier. Il est arrivé que je sois amené, pour Vidéos Val de Drôme, à interroger M. François Morel qui, depuis Beaumont en Diois (80 habitants, 26 kilomètres de Die), exporte dans le monde entier sa production d'appeaux. Il a eu une phrase qui résume tout: « J'ai très vite compris que je ne pouvais réussir qu'en vendant fort loin, car, sur place, il n'y avait de loin pas assez de clients pour me faire vivre ». Et que dire de Barthélémy Art, de Pierre Revol, de Bois d'Harmonie, du Trans Express, de Tilt, de Bulb, du Fab'Lab, etc. qui, tous, vont à la conquête de marchés lointains, depuis notre si modeste région.
Pourtant ces bagarreurs du monde rural comptent pour du beurre. À l'échelle des prises de décisions, ils n'existent pas, ils passent sous les radars du fait du retrait de l'Etat qui n'a plus les antennes pour écouter le pouls de certaines régions. Lorsqu'on étudiera un demi-siècle de notre histoire récente, on constatera que la tendance dominante est l'éloignement entre le citoyen et les centres de décisions, très particulièrement dans des régions comme les nôtres.
Il est bien qu'existent des organisations comme Biovallée qui tendent à rendre visibles toutes ces initiatives dont certaines, parfois, n'emploient que quelques rares compagnons. Mais, mes pauvres, il y a encore du boulot !
Il est triste mais juste de dire que nous sommes dans une confrontation entre un monde rural et un monde urbain. Une confrontation, c'est-à-dire une opposition, c'est à dire une bataille. Le monde des villes pèse 85% de la population, rassemble les décideurs, est le lieu de beaucoup de rencontres, ce qui a fini par lui faire penser qu'il était le seul. Le béton s'est installé dans les têtes. Il est absolument symptomatique que l'on ait perdu de vue que plus de la moitié des territoires français sont agricoles ou encore que sur 36000 communes en France, 33000 sont considérées par l'Institut National de la Statistique comme peu denses ou très peu denses.
L'affaire du loup et l'émotion qu'elle crée doit être analysée dans ce contexte. Naturellement, il y a des données scientifiques. Mais la polémique est surtout un symbole, celui de cet abandon évoqué plus haut. Et l'absence de la moindre compassion vis-à-vis des bergers, le procédé honteux qui consiste à faire passer des victimes (les bergers) pour des coupables contribuent à donner à la situation une dimension d'affrontement. Compte tenu de ce que nous vivons, c'est particulièrement malvenu.
Jacques Mouriquand
Article paru dans Le Crestois du 2 mars 2018