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Dr Céline Durand : « J'espère que cette crise servira de leçon »

Entretien avec la docteur Céline Durand, médecin référent du "secteur Covid" à l'hôpital de Crest.


La docteur Céline Durand exerce depuis 2017 au Centre hospitalier de Crest. Médecin généraliste habituellement rattachée au service "Médecine" de l'hôpital, elle est aujourd'hui référente du "secteur Covid" mis en place à Crest pour faire face à l'épidémie. Quatorze lits y sont disponibles, et tous les jours y travaillent un médecin, une infirmière et un ou deux aide-soignants, selon le nombre de patients hospitalisés. Céline Durand a accepté de revenir avec nous sur la situation sanitaire et sur le dispositif mis en place dans l'hôpital crestois.

Le Crestois : Quelle est la situation au centre hospitalier de Crest ?

Dr Céline Durand : La tendance, c'est qu'on a été beaucoup plus sollicités la semaine dernière pour accueillir des patients. Depuis le début, nous travaillons étroitement avec l'hôpital de Valence dans le cadre du Groupement hospitalier de territoire (les établissements ont une direction commune, ndlr). Nous avons défini quel type de patients seraient hospitalisés à Crest, et ceux qui relèveraient de Valence, selon des critères médicaux. J'ai par exemple été sollicitée par l'équipe d'infectiologie de l'hôpital de Valence, qui nous a renvoyé à Crest des patients issus du bassin crestois. Inversement, nous leur envoyons des patients lorsque leur situation médicale le nécessite.

LC : Connaît-on à Crest une situation de saturation devant l'afflux de patients ?

Dr CD : Vendredi 27 mars, mon service n'était pas plein quand je l'ai quitté. On a plus de demandes, mais on n'est pas encore à saturation à Crest. À Valence, vendredi matin, ce n'était pas encore saturé.

LC : Quand pensez-vous qu'on atteindra le "pic" de l'épidémie ?

Dr CD : C'est très difficile à dire. On nous avait dit qu'il était attendu en fin de semaine dernière. Et c'est vrai que, depuis le milieu de la semaine dernière, les choses se sont accrues. A priori, et même si on est sûrs de rien, on s'attend à avoir potentiellement la même situation que dans le nord de la France, avec quelques jours où il y aura beaucoup de patients qui arriveront en même temps. Nous nous sommes préparés à cette hypothèse à Crest.

LC : Quels types de cas pouvez-vous prendre en charge à Crest ?

Dr CD : On prend en charge les patients les moins lourds, qui ne nécessitent pas de soins continus ni de réanimation. Ce sont des patients qui ont besoin d'oxygène principalement, ou qui sont très symptomatiques. On a beaucoup de symptômes digestifs, avec des gens qui ont énormément de diarrhées, qui sont âgés et qui ont des difficultés pour rester à domicile. Dans notre unité, il n'y a quasi-uniquement que des personnes âgées. Normalement, les personnes jeunes qui sont très symptomatiques sont préférentiellement adressées à l'hôpital de Valence.

LC : Concrètement, quels types de soin pouvez-vous leur prodiguer ?

Dr CD : On peut administrer de l'oxygène via ce qu'on appelle des "lunettes à oxygène" (des petits tubes insérés dans le nez des patients, ndlr). Si l'état du patient se dégrade, et qu'il est "réanimatoire", c'est-à-dire qu'il n'est pas trop âgé ou qu'il n'a pas d'antécédents médicaux pour être mis en réanimation, alors, il peut être traité avec des appareils plus perfectionnés, notamment des "respirateurs", ou de l'intubation. À ce moment là, ces patients iront à Valence.

LC : Aujourd'hui, 14 lits sont disponibles à Crest pour les "patients Covid". Cette capacité d'accueil peut-elle évoluer ?

Dr CD : On peut s'étendre sur le secteur habituellement réservé à la chirurgie ambulatoire, c'est d'ailleurs ce qui est défini depuis le départ. On pourra augmenter nos capacités d'accueil, sous réserve d'avoir suffisamment de personnel médical et paramédical. Sur un petit hôpital comme le nôtre, le moindre arrêt parmi notre personnel peut vite jouer sur nos capacités.

LC : Les stocks de masques et d'équipements médicaux étaient limités la semaine dernière. La situation s'est-elle améliorée ?

Dr CD : On n'est pas le plus mal loti des hôpitaux. Mais on est quand même obligés de compter les masques et de faire attention au stock. Effectivement, les dons nous aident, parce que mine de rien, on utilise beaucoup des masques. Il faut couvrir tout le personnel soignant, et même si on a des apports réguliers de l'Agence régionale de santé (ARS), ça ne nous laisse pas de grands stocks. Moi-même, je ne m'en rendais pas compte, et je pensais qu'une livraison de 2000 masques nous permettrait de tenir longtemps. Mais on réalise que ce n'est pas du tout le cas, alors qu'on fait extrêmement attention. On essaie de ne pas gaspiller, mais ça s'écoule très vite. Les livraisons, même régulières, ne sont pas assez importantes par rapport à nos besoins. On tient peut-être un peu plus de cinq jours avec les stocks dont on dispose aujourd'hui. Et chaque don peut nous aider à rallonger cette durée.

LC : En tant que médecin, comment vivez-vous cette situation de rationnement ?

Dr CD : Ce n'est pas facile... Ce n'est pas non plus facile à faire comprendre au personnel. On aimerait tous, idéalement, avoir le nombre de masques nécessaire et ne pas être obligés de compter. On aimerait ne pas avoir à se préoccuper de ce souci, en plus du reste. C'est une crainte pour les équipes, une crainte pour nous-mêmes. Mais en tout cas, ce que j'apprécie, c'est cette très grande solidarité. Personne dans mon équipe ne refuse de venir travailler dans l'unité Covid, chacun met ses craintes de côté pour aller s'occuper des patients.

LC : Depuis des années, les personnels de santé s'inquiètent du sous-financement de l'hôpital public. En faites-vous l'expérience aujourd'hui plus que d'habitude ?

Dr CD : C'est quelque chose qu'on ressent. Mais que dire de plus que ce qui a déjà été dit ? Ce qui se passe aujourd'hui a valeur d'exemple. On avertit depuis un moment que c'est compliqué à l'hôpital, qu'on aimerait avoir plus de moyens pour une meilleure prise en charge des patients. Et là, on est en train de se rendre compte des choses... Le seul espoir que j'ai, c'est que ça fera bouger les choses et que cette crise servira de leçon. À force de limiter, on se retrouve dans des situations très tendues. Le matériel a besoin d'être renouvelé, et sans financements, on ne peut pas le faire. On a du matériel qui vieillit, des machines qui tombent plus souvent en panne... J'espère que l'État comprendra que les hôpitaux ont besoin d'investissements pour pouvoir continuer à exister.

Propos recueillis le samedi 28 mars
par Martin Chouraqui 

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