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Bernard Arnuti : dépister « pour sortir du confinement »

Le directeur du laboratoire Unibio nous présente les premiers résultats des tests de dépistage du Covid-19 réalisés à Crest. Il souligne l'importance de ces tests pour envisager une suspension des mesures de confinement.


Depuis une dizaine de jours, le laboratoire Unibio, installé au Champ de Mars, à Crest, est en mesure de réaliser le fameux test de dépistage du Covid-19. Mais comme partout en France, les équipes du laboratoire crestois n'en disposent pas en quantité illimitée... Au contraire : le rationnement est de rigueur, et les biologistes ne peuvent tester que les patients "à risque" et présentant des symptômes de la maladie. Patients qui doivent par ailleurs disposer d'une ordonnance dûment argumentée par leur médecin.

Bernard Arnuti, qui dirige le laboratoire, a accepté de revenir avec nous sur ce dispositif, assez rare dans notre secteur. L'occasion pour le biologiste de faire le bilan des premières semaines de dépistage à Crest, mais aussi d'aborder la question de l'approvisionnement en tests, une denrée rare qui pourrait pourtant permettre d'atténuer les mesures de confinement.

Le Crestois : Depuis le lancement du dispositif, combien de tests ont été réalisés à Crest et quels en sont les résultats ?

Bernard Arnuti : Depuis le 18 mars, nous avons réalisé sur l'ensemble de nos laboratoires environ 3000 tests, au rythme de 300 par jour - hors week-end. Jusqu'à présent, nous avons en moyenne 30% de ces tests qui sont positifs au Covid-19. [Précision ajoutée le 1er avril à 20h30 : entre le 18 et le 30 mars, 2219 dépistages ont été réalisés par les laboratoires Unibio, pour 626 résultats positifs, soit 28% ; pour Crest et Die sur la même période : 215 dépistages ont été réalisés, pour 60 positifs, soit 27,9% - source Unibio]. Bien entendu, cela ne signifie pas que 30% des habitants sont positifs. Car par définition, nous ne testons que des personnes qui présentent des risques d'avoir contracté le virus. Face à la pénurie de matériel de dépistage, l'Agence régionale de santé (ARS) a en effet établi un certain nombre de critères qui nous guident pour savoir les personnes que l'on peut tester. Dans tous les cas, il faut qu'ils aient des signes cliniques du Coronavirus (toux, fièvre, difficultés respiratoires, etc.). On ne peut pour l'instant faire de prélèvement que sur prescription médicale bien étayée.

LC : D'où viennent les personnes qui viennent se faire tester à Crest ?

BA : C'est finalement assez large, car on récupère tout le bassin de Crest et celui de Die, mais aussi des patients venus de plus loin, car il y a peu de laboratoires qui disposent de cette technique dans notre secteur. On a des personnes qui viennent d'un peu plus loin vers le sud, par exemple de La-Motte-Chalancon, ou de communes plus proches de Montélimar. C'est un périmètre plus large que ce que l'on pratique habituellement avec nos laboratoires de Crest et de Die.

LC : Les tests que vous pratiquez vous permettent-ils de mesurer la propagation de l'épidémie dans notre région ?

BA : Non. Pour l'instant leur nombre est stable. Et on ne peut pas dire qu'on ait plus de résultats positifs au fil des jours. 30%, c'est une moyenne sur l'ensemble. C'est un trop petit échantillon pour qu'on puisse dire qu'il y a une progression chez nous. Mais quoi qu'il en soit, il y a progression, puisque les chiffres montrent que sur la région Rhône-Alpes, comme ailleurs, il y a une augmentation du nombre de cas. Je ne vois pas pourquoi il en irait autrement dans la Drôme.

LC : Quelle est la fiabilité du test ?

BA : Le test qu'on utilise est très sensible et très spécifique : c'est de la PCR (Polymerase chain reaction). Pour faire simple, on recherche l'ADN du virus dans les prélèvements, puis on le multiplie. Ce sont les tests les plus sensibles qui existent. Bien sûr, comme tous les tests, ils ne sont pas fiables à 100% et il y a toujours une petite marge d'erreur. Mais c'est quand même une excellente sensibilité, à condition que le prélèvement soit fait correctement. C'est un prélèvement naso-pharyngé : on prend un "écouvillon" (une sorte de long coton tige, ndlr) que l'on insère assez profondément dans le nez, ce qui est douloureux, mais qui conditionne aussi la qualité du résultat.

LC : Comment faites-vous pour vous approvisionner en tests ?

BA : C'est tout le problème actuellement. Il n'y a absolument aucune fabrication de ces tests en France. On dépend uniquement de fabricants qui se trouvent à l'étranger : il y a des Allemands, des Coréens, des Américains. Aujourd'hui, avec nos stocks, on n'a que quelques jours de visibilité, et il est complètement exclu de procéder à un dépistage massif. Le deuxième problème que l'on rencontre, c'est sur les écouvillons de dépistage : les fabricants sont italiens ou espagnols, et inutile de dire que, dans ces deux pays, soit les usines sont à l'arrêt, soit ils en ont besoin pour leur propres habitants. Nous avons donc d'énormes soucis d'approvisionnement. D'où le rationnement et l'obligation de ne tester que des patients très ciblés, présentant des risques. Et le regret de ne pas avoir une industrie franco-française qui peut réaliser ce genre de choses...

LC : Est-ce que, malgré tout, vous pourrez augmenter vos capacités de dépistage dans les semaines à venir ?

BA : On a huit jours de visibilité, et c'est à peu près tout. Ensuite, on ne peut que passer des commandes et espérer qu'elles soient honorées. On sait que les pouvoirs publics font pression pour que ce soit le cas. Mais comme tous les pouvoirs publics de tous les pays du monde font la même chose, on n'est pas certains que cela fonctionne... Jusqu'à présent, on n'a pas eu de rupture dans l'approvisionnement, et on espère pouvoir continuer comme ça, et même augmenter nos capacités.

LC : Si vous en aviez les moyens, quel serait l'intérêt de faire des tests de manière plus étendue et de ne pas les limiter simplement aux patients symptomatiques ?

BA : Ma conviction, c'est qu'il aurait été vraiment intéressant de faire du dépistage de masse, car cela aurait permis de ne confiner que les patients positifs et de laisser les autres circuler. Mais il aurait fallu pouvoir le faire dès le départ. C'est ce qu'ont fait certains pays, la Corée et l'Allemagne en particulier, parce qu'ils ont les moyens de faire un dépistage beaucoup plus important, et donc d'avoir un confinement beaucoup plus ciblé. C'est intéressant, mais il faut avoir les capacités de le faire, ce qui n'est pas le cas chez nous.

LC : D'autres tests, en cours de développement, pourraient permettre d'identifier les personnes qui ont contracté le Covid-19 et qui sont guéries, et peut-être immunisées. Pouvez-vous nous en dire plus ?

BA : Actuellement, le test que l'on pratique cherche la présence du virus dans le rhino-pharynx, c'est-à-dire qu'il cherche la maladie en cours. Ensuite, il faut comprendre que toutes les maladies virales, quand on les attrape, induisent la production d'anticorps. La "sérologie" est une technique qui permet de détecter ces anticorps. Ces derniers apparaissent au cours de la maladie, puis ils persistent après la guérison. Les détecter chez des patients ne présentant pas de symptôme permettrait de savoir, après coup, quelle est la proportion de la population qui a été atteinte par le Coronavirus. Ça aura un intérêt pour sortir du confinement.

LC : Où en est-on aujourd'hui dans le développement de ces tests ?

BA : À ma connaissance, il n'y a pas encore de laboratoire qui ait développé la technique. Je pense que ça va venir dans les prochaines semaines. Les fabricants y travaillent, le marché potentiel est énorme, donc c'est sûr que ça les intéresse. Actuellement, nous ne sommes, à Unibio, pas encore en mesure de le faire, mais nous avons un laboratoire partenaire à Grenoble qui est en train de mettre au point une technique de ce type.

LC : Avec les tests actuels en grande quantité et des tests de sérologie, pourrait-on venir à bout du virus et du confinement ?

BA : Ça ne ferait pas disparaître le virus. Mais ça nous permettrait de bien savoir où nous en sommes, de connaître la proportion de gens malades et de gens immunisés. On estime qu'une population est immunisée quand au moins 50% des gens ont des anticorps. Alors, l'épidémie meurt d'elle-même parce qu'elle ne trouve plus suffisamment de sujets sains à contaminer.

Propos recueillis par Martin Chouraqui

Publié le 1er avril

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