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Comment s’en sortir sans sortir ?

"Transitions", la Chronique de Vincent Meyer du 14 avril 2020.

Comment s’en sortir sans sortir ?

Bien sûr, la question renvoie à l’inconfort du confinement. Mais aussi à l’après. Car ce souci commence à devenir prégnant et l’incertitude de l’avenir se rajoute à l’angoisse de l’épidémie. Incertitude relative d’ailleurs, car une chose est sûre : ça va être compliqué, difficile et douloureux. Churchill, un homme politique qui parlait franc et clair, avait promis aux Britanniques le 13 mai 1940 « du sang, du labeur, des larmes et de la sueur ». Nous pouvons d’ores et déjà considérer comme certain que le PIB va chuter d’au moins 10 %. Le système arcbouté sur le mythe de la croissance en prend un sacré coup. La décroissance, on y est. Mais mieux aurait valu la décider, la prévoir, l’organiser, l’amener en douceur. Il nous faut à la fois gérer le court terme et compenser, d’un coup, les anticipations long terme qui n’ont pas eu lieu.

Pour atteindre les objectifs de la COP 21, il était admis qu’une baisse progressive du PIB mondial était indispensable. Cinq ans après, force était de constater l’impuissance des Etats englués dans le mythe de la croissance et dans la dépendance aux lobbies. La chute brutale du PIB en 2020 permet de rattraper ce retard dramatique. Ce que nous n’avons pas su faire malgré la conscience largement partagée qu’il fallait le faire, le virus l’a fait pour nous. Brutalement certes, mais mieux vaut tard que jamais. N’allons surtout pas tenter de repartir de plus belle dans le chemin qui mène au chaos, en serrant les boulons, en renforçant le contrôle sur les populations rebelles, en aggravant les inégalités. Passons enfin d’une économie libérale à une économie soutenable. C’est le moment. Ce changement sera douloureux et délicat ? Certes, mais le retour à l’ancienne antienne le serait au moins autant dans un premier temps avant de nous plonger finalement dans un désastre mortifère et définitif.

Mais ne nous leurrons pas. Changer de modèle au milieu du marasme ne sera pas la transition douce que d’aucuns prêchaient depuis des années en vain. Nous allons faire les choses dans l’urgence et le dos au mur. Le virus a réajusté la société, le temps du confinement, en la débarrassant de ses scories : pollution, agitations inutiles, guerres, consommation compulsive, tourisme de masse, dilapidation des ressources naturelles, émissions de CO2… Après deux semaines de confinement, l’empreinte carbone des Français a baissé de 62 %. Voilà un premier résultat qu’il nous faut valider et conserver. Donc ne mettons pas toute notre énergie, nos ressources, nos financements au service du maintien en vie de secteurs économiques que la crise a mis à mal à juste titre. Acceptons que l’emploi doive massivement muter vers des activités vertueuses. Dans tous les cas, nous aurions eu à faire face à un chômage de masse sous quelques mois.

Engageons la transition, avec l’emploi en tête, en prenant enfin des mesures courageuses : création d’un revenu universel, plan massif de formation à la reconversion, grand service civique dédié au social et à l’écologie, réduction des passoires thermiques, restauration des services publics indispensables à la ruralité, développement volontariste de l’autonomie alimentaire des territoires. Entamons très vite le rapatriement de toutes les productions stratégiques : médicaments, appareillages, panneaux solaires, composants électroniques. Et taxons sans pitié les denrées, productions et services non écologiques, dont carburants avions et bateaux, véhicules diesel neufs, matériaux plastiques, alimentation industrielle. Nous avons bien observé que l’austérité budgétaire tue. Ce remède n’est plus de saison. Nous avons eu tort d’écouter le FMI plutôt que l’OMS. Pour maximiser les profits, on a supprimé les redondances de productions, délocalisé, et géré les économies en flux tendu. Une logique de court terme suicidaire. Les économistes débattaient depuis 150 ans de la primauté de l’offre sur la demande et inversement. Nous avons l’effondrement de la demande et l’effondrement de l’offre. En même temps ! La consommation de pétrole a brusquement chuté, son prix s’effondre entraînant avec lui des pans entiers de l’économie mondiale. Les banques sont engluées jusqu’au cou dans cette économie carbonée. La première qui flanche risque d’entraîner l’ensemble des dominos bancaires. Rester dans la dépendance absolue des ressources carbone limitées et instables c’est jouer à la roulette russe…

Cependant que le droit du travail part en miettes sous les coups de butoir des ordonnances et que se met en place un contrôle croissant des flux et mouvements des personnes ! Les ordonnances passeront, les drônes resteront. Profitant de l’état d’urgence sanitaire, le gouvernement a publié, le 25 mars, une ordonnance facilitant l'installation d'antennes relais pour la 5G et permettant aux opérateurs de téléphonie mobile de déroger aux règles d’urbanisme ! Rien à voir avec le mandat donné par le parlement autorisant les ordonnances ! A Nice, le maire Estrosi a demandé qu’Enedis vérifie avec les données Linky si les résidences secondaires sont occupées pendant les vacances de Pâques. Nous assistons à une attaque en règle contre les libertés individuelles…

Bien sûr, pour l’heure, il nous faut poursuivre le confinement. Dans « les animaux malades de la peste », La Fontaine écrit : « Ils ne mouraient pas tous, mais tous étaient frappés ». Nous savons que l’épidémie ne s’éteindra que lorsqu’une large proportion de la population sera immunisée. Cela suppose que le virus ait visité un grand nombre d’entre nous. Sans pour autant faire vivre à tous les symptômes les plus graves. Le confinement permet d’éviter la saturation des services de réanimation et de soins intensifs. En contrepartie, il étale, dans la durée, la propagation. Entre temps, l’arsenal sanitaire se renforce tant au niveau hospitalier que pour la protection individuelle, le virus livre peu à peu ses secrets, des tests d’infection et des tests d’immunité vont devenir disponibles. De quoi permettre une sortie prudente et modulée du confinement. La seconde vague n’étant pas exclue, il sera essentiel de continuer la pratique des gestes barrière et l’observation des consignes. Mais dès maintenant, préparons l’après…

Vincent Meyer

Publié le 14 avril 2020

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