Confusion et inquiétude avant la reprise de l'école
Dans la vallée, les personnels de l'éducation et les municipalités tâchent d'organiser tant bien que mal une reprise des cours dans des conditions chaotiques...
« De la folie », « des règles terribles », « une situation complètement ingérable », « de la maltraitance »... Le moins que l'on puisse dire, c'est qu'il faut se lever de bon matin pour trouver dans la vallée un enseignant qui aborde la reprise de l'école avec sérénité. Le dimanche 3 mai, les directeurs et directrices d'établissement ont en effet reçu de leur Inspection académique un « protocole sanitaire » relatif à « la réouverture et au fonctionnement des écoles maternelles et élémentaires », deux mois après la fermeture des classes pour cause d'épidémie de Covid-19. Un document de 54 pages qui leur a donné des sueurs froides, en précisant les dispositions qu'ils devront prendre pour accueillir leurs élèves, à partir du lundi 11 mai, « dans le respect des prescriptions émises par les autorités sanitaires ». Depuis la réception de cet épais document, enseignants, élus, agents municipaux et parents d'élèves se démènent pour adapter ces injonctions ministérielles aux réalités locales.
« C'est une usine à gaz ! », regrette Jean Beaufort, le directeur de l'école élémentaire de Mirabel-et-Blacons. Les règles imposées sont terribles : il faudra maintenir une distance d'un mètre entre chaque personne, sans aucun contact physique, les élèves seront installés chacun à un bureau sans autorisation d'en bouger, ils ne pourront pas jouer ensemble, pas se toucher, ni se prêter d'objet. Si l'un d'entre eux touche un livre, il faudra attendre cinq jours avant qu'un autre ne puisse le feuilleter... » Encore abasourdi, l'enseignant n'en finit plus de lister des règles draconiennes, confinant parfois à l'absurde : « Pour les activités sportives, la distanciation devra être de 5 mètres, et de 10 mètres pour les activités essoufflantes ! » Avant de conclure : « L'école telle qu'elle va fonctionner à partir de la semaine prochaine ne sera plus une école, ça va être de la garderie. Cette reprise se fait au profit des parents, pas des enfants. »
DES OUVERTURES SUR-MESURE
Au-delà de cette réglementation très stricte, le ministère de l'Éducation Nationale demande aussi aux établissements de limiter à 10 le nombre d'élèves par classe en maternelle, et à 15 en élémentaire (cf. la circulaire ministérielle du 4 mai). À chaque école, ensuite, de s'adapter, de sonder les parents pour connaître les besoins, de jauger ses capacités d'accueil compte tenu des nouvelles règles sanitaires pour, in fine, proposer des réouvertures sur-mesure.
Prenons par exemple les classes de maternelle du Regroupement Pédagogique Intercommunal (RPI) de Mirabel-et-Blacons et Piégros-la-Clastre. Deux maîtresses accueilleront 8 enfants chacune, trois jours par semaine. Une quatrième journée, elles accueilleront les enfants des personnels « indispensables à la gestion de la crise sanitaire ». Le reste du temps, elle devront assurer la « continuité pédagogique à distance » avec tous les autres élèves (environ 60), via Internet notamment. Autant dire qu'elles n'auront pas le temps de chômer... Une quarantaine de parents ont, en outre, manifesté leur souhait de renvoyer leurs enfants à l'école dès la semaine prochaine. Problème : l'établissement ne pourra accueillir qu'une vingtaine d'écoliers... Bref, ni les parents, ni les enseignants, et surtout, ni les élèves, ne risquent d'y trouver tout à fait leur compte.
DES ÉCOLES RESTERONT FERMÉES
C'est ce qui a conduit d'autres établissements de la vallée à ne tout simplement pas ouvrir leurs portes la semaine prochaine. C'est le cas à Soyans, où l'école maternelle, qui accueille d'habitude 44 élèves, restera fermée. Une décision prise collectivement par les élus, les parents d'élèves, et les enseignants du RPI (qui regroupe les communes de Saoû, Soyans et Francillon-sur-Roubion). « C'est ingérable avec des petits de 3 ans ! explique Geneviève Moulins-Dauvillier, la maire de Soyans. On a reçu le protocole dimanche, après 20h, et il a fallu tout organiser dès le lendemain. En Conseil d'école, on a estimé que ce protocole était encore plus maltraitant pour les tout-petits que pour les plus grands ». En ce qui concerne les classes de CP, CE1 et C2, installées à Saoû, elles resteront également fermées au mois de mai. « Le bâtiment ne nous permettrait pas de respecter le protocole, il est trop petit pour que les enfants ne s'y croisent pas », précise Daniel Gilles, le maire de Saoû. Le déconfinement des écoliers du RPI ne concernera donc que les CM1 et les CM2, qui iront à l'école en alternance, en groupes de 15 maximum...
Le maire de Saoû regrette par ailleurs le manque de franchise du ministère de l'Éducation Nationale, qui justifie la réouverture des classes au prétexte de la « lutte contre les inégalités ». « Je regrette qu'on ne nous ait pas dit formellement qu'il fallait mettre en place un service d'accueil pour soutenir les parents, car c'est ce que nous allons faire : de la garde d'enfants, pour ne pas dire de la surveillance », regrette Daniel Gilles.
« NOUS SOMMES VOLONTAIRES »
Le prétexte de la « lutte contre les inégalités » insupporte également Marie-France Duflot, enseignante spécialisée en Rased (Réseau d'aide spécialisée aux élèves en difficulté) dans le secteur de Crest. « Les trois quarts des élèves que j'ai suivis pendant le confinement, qui sont en très grande difficulté, n'iront pas à l'école la semaine prochaine », note l'enseignante, qui est aussi militante à la France insoumise. Et son poste d'enseignante en Rased sera tout bonnement supprimé à la rentrée prochaine...
Mais malgré toutes ces craintes et inconnues, la plupart des établissements vont tout de même rouvrir leurs portes la semaine prochaine. Alain Bâtie, directeur de l'école Claire de Chandeneux, à Crest, préfère voir le verre à moitié plein : « Les cinq écoles crestoises reprennent, avec un maximum de précaution, et c'est bien grâce à la bonne volonté des enseignants », relève-t-il. « Nous sommes volontaires, insiste-t-il, on a envie de sortir de cette période, et notre conscience citoyenne nous pousse à tenter la chose. Mais s'il s'avère que nous ne sommes pas en capacité d'accueillir convenablement les enfants, alors, je me réserve le droit de le signaler à l'académie et éventuellement, de fermer l'école », avertit l'enseignant, également conseiller municipal d'opposition.
Du côté de la mairie de Crest, on se montre plutôt optimiste. Hervé Mariton assure « faire confiance aux enseignants » pour transformer la période qui vient en un temps positif pour les élèves. Le maire de Crest se félicite en outre des « capacités de mobilisation et d'adaptation de la ville et des enseignants ».
PAS DE MASQUES POUR LA REPRISE ?
Mais à Crest comme ailleurs demeurait encore, jeudi 7 mai au soir, une autre incertitude : de nombreux établissements scolaires étaient en effet toujours en attente des masques de protection promis par l'Éducation Nationale. « On nous les promettait pour le début de semaine, mais on les attend toujours, et maintenant, l'inspection académique nous les promet pour lundi », s'inquiète Florimond Guimard, enseignant à l'école Charles Royannez et délégué syndical SNUipp-FSU. Avant d'avertir : « Si on ne les a pas, on sera obligé de décaler la reprise ». À Blacons aussi, on attend toujours la livraison des masques...
Du côté d'Aouste-sur-Sye, la mairie s'est chargée de préparer en amont « un kit de survie sanitaire » pour tous les personnels présents dans les écoles, précise le maire, Denis Benoit. Dans ce kit : un masque de protection, une visière en plexiglas, et un flacon de gel hydroalcoolique. Avec une ambition : tout mettre en œuvre pour que « l'école de la République reste ouverte et que les familles aient le choix de venir ou pas », précise Denis Benoit. Pour le maire d'Aouste, il faudra aussi s'efforcer de tirer parti de la crise actuelle : « On aura peut-être à revivre ce type de situation dans quelques mois, ou dans quelques années, il faut s'y préparer. Considérons ce qui nous arrive comme une expérience dont il faudra tirer les leçons, pour être meilleurs à l'avenir ».
Martin Chouraqui
Publié le vendredi 8 mai 2020
À lire sur le même sujet : le communiqué du ministère des Solidarités et de la Santé relatif à l'accueil de la petite enfance.