Liliane Lepeer, son chat, son livre
Installée à Piégros-la-Clastre, elle a adapté en français une astucieuse idée pour enfants souffrant de lourds déficits visuels.
Au Crestois, on a l’habitude : lorsqu’on part en reportage sur les hauteurs de Piégros-La Clastre, ça prend plus de temps que d’habitude. On se perd toujours. En allant chez Liliane Lepeer, là-bas, loin, loin au bout d’un chemin boueux, après avoir tourniquoté longuement, on prenait ce risque. Mais, bon, nous y sommes arrivés. Et là, nous ont accueillis dans l’ordre Liliane Lepeer, exquise dame élégante et cultivée et «Beau» (ou bien est-ce «Bo» ? nous n’avons pas demandé) le chat de la maison qui semble y tenir une bonne place. «Je vous présente Beau, nous a dit Liliane Lepeer, pour le cas où vous auriez l’intention de mener une conversation avec lui». Mais c’est bien avec Mme Lepeer que nous avons bavardé même si Beau, à un moment donné, agacé de voir que c’était sans cesse sa patronne qu’on photographiait, a voulu, lui aussi, être dans l’image. Ça y est, c’est fait.
Liliane Lepeer est dans notre pays depuis 29 ans. Elle a fait, dans son pays la Belgique, des études de philologie romane, autant dire que comme on dit maintenant «c’est une pointure». Elle a longtemps vécu à Bruges où elle travailla notamment dans la librairie de son mari où l’on vendait autant de littérature néerlandaise que française, allemande ou anglaise. Est-il besoin de dire, donc, que Liliane Lepeer aime la lecture ? Elle l’aime passionément : «L’entrée en lecture est capitale. Savoir lire, nous a-t-elle dit à plusieurs reprises, c’est acquérir une liberté».
Et voici donc qu’un jour, elle apprit que loin, loin, là-bas, au Nicaragua, la soif d’apprendre à lire est si grande qu’on confie à des gamins ou des gamines du niveau du CM2 chez nous le soin d’apprendre à lire à leurs petits camarades. Là voilà donc qui s’embrigade dans une association qui s’est donnée pour objectif de former ces formateurs en culottes courtes. Ça tombait bien : former des formateurs, elle en avait précédemment fait son métier. Au Nicaragua, elle ira pendant cinq ans donner un coup de main, de même encore à Gaza ou en Tchéquie.
Il advint un jour que, tombant sur un article de presse (peut-être dans Le Crestois de Bruges), elle découvre une association, "Solidarité en vue» qui édite un objet singulier en vue de permettre de lire à des personnes lourdement handicapées de la vue.
Ça a l’air d’un livre, mais c’est un petit peu plus compliqué que cela. D’un côté des dessins magnifiques d’animaux ou de fleurs avec un court texte poétique, mais, si l’on passe la main sur les pages, on comprend bien que le même texte qu’un voyant peut lire est imprimé en braille et les superbes dessins de Freya Delrick (les textes sont de Jan Dewitte) eux-mêmes peuvent se percevoir au toucher. Sauf que, si vous n’êtes pas capable d’identifier ces lignes mystérieuses, ça n’a aucun sens. C’est pourquoi au livre est joint ce que Liliane Lepeer appelle un GPS. C’est-à-dire, en fait, un CD qui accompagne le feuilletage et décrit ce que les lignes montrent : un animal, une fleur. Il fallait adapter ces textes et le CD en français. Liliane Lepeer l’a fait sous le titre Binettes Bizarres à l’intention d’un public dans la tranche de 5 à 9 ans. On peut voir l’ouvrage, de très belle facture, à la médiathèque ou à la librairie La Balançoire.
Liliane Lepeer milite ardemment pour que cette initiative ait une large diffusion. Car, dit-elle, «qu’est-ce qu’on fait trop souvent d’un mal voyant dans une fratrie? On le confie à une institution parce qu’il n’arrive pas à s’intégrer. Comment acquérir la lecture si l’entourage n’est pas conscient des difficultés ? Les enfants mal voyants ont envie de conquérir cette compétence. Eh bien ce livre est un outil pour lutter contre le handicap et je souhaite qu’il y en ait d’autres, une collection entière.» Et Liliane Lepeer aimerait aussi participer à des rencontres à la médiathèque sur la question de savoir : que faire des différences ?
Article paru dans Le Crestois du 21 novembre 2014