Le plus long chemin entre Varsovie et Crest

Adieu Varsovie, de Janka Kaempfer Louis, lu par Guillaume Erner.

Ce livre aurait pu s’intituler « le plus long chemin entre Varsovie et Crest ». Où comment une petite juive polonaise finit, au terme d’une épopée inouïe, par s’installer dans la vallée de la Drôme. C’est ce que Janka Kaempfer Louis raconte, dans son livre Adieu Varsovie, un ouvrage né d’un projet fou : suivre les traces de sa mère. Car les traces en question partent de Pologne pour se perdre et se retrouver en Palestine, en Roumanie, en Allemagne et à Rome. Voilà une histoire bouleversée par l’Histoire avec sa grande hache.

Les juifs polonais étaient parties prenantes de la vie polonaise, dans les campagnes comme dans les villes, à l’instar de Rypin, une ville où juifs et catholiques coexistaient et où Irina, la mère de l’auteur, est née. Le 7 septembre 1939, c’est la guerre et les Allemands envahissent cette ville, ils incendient la synagogue, pillent et tuent. Seuls 70 juifs de la ville survécurent, dont Irena. Pour y parvenir, il lui fallut réunir, d’abord une chance inouïe, mais aussi du courage, de la ruse, et finalement un peu d’inconscience. C’était cela ou la mort, un choix qui donne peut-être des ailes.

Réfugiée à Varsovie, Irina fait ensuite partie du petit nombre de personnes qui ont réussi à s’enfuir du ghetto avant sa destruction. Il faut imaginer un quartier entièrement bouclé par les nazis, où s’entassaient des juifs apeurés, progressivement tous exterminés par les Allemands. Jusqu’à leur complète annihilation, en 1943. Les juifs étaient 3 500 000 en Pologne en 1939, il n’en restait plus que 500 000 en 1945. Mais hélas, même après guerre, en Pologne, les juifs ne connurent finalement pas de répit ; en 1945, leurs malheurs cessent, leurs ennuis commencent.

L’antisémitisme devient une arme entre les mains du gouvernement, le tout culminant dans une campagne d’une ampleur inouïe, en 1968. L’une des conséquences de la guerre des six jours qui opposa, en 1967, Israël et ses voisins. La Pologne, comme l’ensemble du bloc de l’Est, prend le parti des Arabes et accuse de sionisme les quelques juifs qui vivent encore dans ses frontières. La période oscille entre le tragique et le comique, et Janka Kaempfer Louis restitue cette ambiance à la fois triste et surréaliste. Au fil de ces pages, on devient familier avec des gens qui n’ont pas seulement eu une vie, mais une histoire, une vie faite par l’histoire.

Lire ce livre est une manière de relativiser un peu les malheurs de notre époque, de se dire également qu’à tout moment, au terme d’un glissement imperceptible, ce qui est arrivé aux juifs en Pologne peut se rejouer ici ou ailleurs, sur les mêmes ou sur d’autres.

Guillaume Erner

ADIEU VARSOVIE
Janka Kaempfer Louis - mars 2021 - Éditions Ampelos

Article publié dans Le Crestois du 14 mai 2021

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