La seconde vie de Jane Austen
Dans ce roman, Mary Dollinger s'amuse à faire revivre l'écrivaine Jane Austen à notre époque et dans un petit village de la Drôme.
Née en 1775 et décédée en 1817, l'anglaise Jane Austen reste un des monuments de la littérature mondiale, notamment féminine, avec des oeuvres comme Orgueil et Préjugés ou Mansfield Park.
Mary Dollinger est aussi une auteure (selon l'Académie Française) anglaise à l'imagination et à l'humour beaucoup plus débridés que ceux de l'illustre romancière. Ainsi s'amuse t-elle à faire revivre Jane à notre époque et dans un petit village de la Drôme qui ressemble fort à celui où elle réside depuis des années.
Tout en conservant les grandes lignes de la vie de Jane Austen, Mary Dollinger prend plaisir à se glisser dans l'intimité de son modèle qu'elle anime à la perfection. Elle choisit, d'abord, le même style épistolaire que Jane pratiquait avec aisance, imaginant une correspondance passionnée avec sa soeur Cassandra restée au pays. C'est un exercice délicat dans lequel Mary excelle, elle qui adore s'immiscer dans l'univers d'artistes célèbres. De Virginia Wolff dans Au secours Miss Dalloway à Mozart dans Le visiteur de Saoû, en passant par les démêlés courtelinesques de Gustave Flaubert ou Victor Hugo face à des éditeurs peu perspicaces dans le Journal désespéré d'un écrivain raté.
Voilà, aussi, un des thèmes d'écriture préférés de Mary Dollinger que d'étudier avec humour, et parfois une certaine férocité blasée, les méandres du monde littéraire. Les déboires de Jane Austen pour se faire publier sans qu'on réécrive ses romans ou même le traitement flagorneur qui l'attend, une fois la gloire venue, forment de terribles constats, entre amertume et dérision, sur les "maisons d'édition".
Mais notre néo-dromoise ne s'en tient pas là et profite des découvertes naïves de son héroïne pour se livrer à un des exercices favoris de nos amis les Anglais : se moquer des moeurs françaises dont ils savent si bien souligner les incongruités. « Faire la bise » ou « boire le pastis » plongent Jane Austen dans des abimes de perplexité amusée qui ne doivent, également, pas épargner Mary.
Comme pour chacun de ses romans, Mary Dollinger impressionne par son écriture précise et délicate et par sa maîtrise parfaite de la langue française qu'elle défend mieux que bien de nos compatriotes lettrés. Les quelque deux-cent pages défilent sur un rythme soutenu où même les scènes les plus intimistes et introspectives conservent le lecteur dans un univers dont il est difficile de sortir avant le point final.
Bernard Foray-Roux
Article publié dans Le Crestois du 11 juin 2021