Charbonniers !

L’histoire de ces saisonniers italiens venus fabriquer du charbon de bois dans les forêts du Vercors.


L’épais livre de Julien Lobbedez et Sébastien Perroud, au design léché, retrace l’histoire de ces saisonniers italiens, venus pour beaucoup de la région de Bergame, venus fabriquer du charbon de bois (végétal donc) dans les forêts du Vercors, grâce à des rencontres et des témoignages de certains de leurs descendants.

Mais, en plus d’un joli portfolio signé Emmanuel Breteau, l’ouvrage consacre également une partie scientifique au procédé de production de charbon de bois de l’époque, mais aussi sur leur propre expérience. Car, oui, les auteurs, accompagnés par d’autres membres du collectif, ont tenté l’expérience au coeur d’une forêt située non loin du col de Papavet en construisant leur propre charbonnière d’époque ainsi qu’une cabane d’habitation. Ils y sont restés trois mois!

Ces charbonnières étaient construites sur de grandes plateformes en bois. Une cheminée centrale, un couvercle et quelques évents pour laisser s’échapper une fumée d’abord blanche, puis aux couleurs changeantes, jusqu’au bleu, synonyme de la fin du processus qui pouvait durer un à deux mois. Ils recommençaient alors dans la foulée. Ce travail était très difficile puisqu’il fallait surveiller sans cesse la charbonnière pour prévenir tout incendie. Vingt ou trente stères de bois pouvaient alors se transformer en charbon végétal grâce à la pyrolyse (le bois ne touchait pas le feu), une denrée alors indispensable en ville pour faire tourner les moteurs. D’où la fierté de ces travailleurs saisonniers immigrés à la gueule noire qui vivaient, parfois avec leur famille, au fond des bois. Ce qui n’a pas manqué d’ailleurs d’alimenter un mythe de sorcellerie auprès des populations locales.

Ces Italiens, qui s’installaient dans les forêts du Vercors à la fonte des neiges, vivaient dans «des habitats précaires faits d’une couche de terre, de feuillage et de bois, des huttes améliorées au fil du temps», ont expliqué les auteurs. Ces charbonniers possédaient également quelques animaux d’élevage (poules, chèvres ou moutons) afin de pouvoir se nourrir sur place. Julien Lobbedez et Sébastien Perroud, dans leur démarche, se sont aussi intéressés à la forêt et à sa propriété à travers les époques, majoritairement privée. « Les charbonniers n’abattaient pas d’arbres mais récupéraient des chutes et des branches qu’ils achetaient auprès de propriétaires terriens. Titulaire d’un réel savoir-faire et mieux payés qu’en Italie, ils étaient tout de même la dernière roue du carrosse ».

Clément Chassot

Charbonniers ! Alchimie entre art, mémoire et environnement
Terre Vivante Editions

Article publié dans Le Crestois du 2 décembre 2022