Il y a cent ans naissait François-Jean Armorin

Jacques Mouriquand, auteur d’un livre à sortir sur le trop méconnu journaliste Crestois, retrace la vie de cette figure de son temps, disparu dans un crash d’avion en 1950.


Le téléphone a sonné. C’était mon éditeur Éric Peyrard, le patron des éditions Ampelos. Tout parisien qu’il soit, c’est un Drômois de coeur. Son grand-père est bien connu des historiens du département : Maurice Peyrard fut un des fondateurs de l’excellente revue Études Drômoises. Saillanson, sa petite cité ne l’a pas oublié : on m’assure qu’il s’y trouve une plaque rappelant sa mémoire.

- Écoute, me dit Éric, il n’y a pas beaucoup de célébrités dans ton petit coin. Il faut que tu me fasses une biographie de François-Jean Armorin.
En toute franchise, je n’étais pas très chaud. J’avais eu la malchance de lire un jour un passage du jeune journaliste crestois qui ne m’avait pas enthousiasmé.
- Ah non, tu ne peux pas me faire ça !

Alors, je m’y suis mis.

François-Jean Armorin est né lorsque l’Angelus sonnait, le 14 mai 1923. Nous connaissons ce détail grâce à un bouleversant petit carnet tenu par sa mère, Germaine, qui subsiste aux archives départementales de la Drôme. Il faut ici rendre un immense hommage à la famille Armorin, évidemment détruite de chagrin lors du décès de son enfant à la mi-juin 1950 dans le crash de l’avion de retour de Saïgon. Elle a mis à disposition du public quantité de documents qui autorisent aujourd’hui à reconstituer une vie. Mais s’ajoutent parfois des miracles, comme la découverte, d’un texte de Marielle Larriaga, l’épouse du très fameux cameraman Gilbert Larriaga.

Elle a bien connu François- Jean Armorin et pour cause! À l’occasion d’un premier mariage avec un des fils du résistant Élie Péju, elle était ainsi directement apparentée au patron de François-Jean Armorin. Or, Élie Péju était le grandpère de l’écrivain renommé Pierre Péju (La petite chartreuse) qui m’a bien volontiers parlé de ce formidable ancêtre et donc de l’ambiance dans laquelle baignait le reporter crestois.

LES ESPOIRS FOUS DE LA PRESSE RENAISSANTE

Franc-Tireur, le journal où, donc, Armorin va exercer ses talents sous la férule de Péju, est le prolongement du mouvement de résistance du même nom. Comme tel, il porte un témoignage sur cette presse renaissante, folle d’espoirs, dans les premières heures de l’après-guerre. Il a certes donné, mais très brièvement, ses premiers articles au Résistant de la Drôme, rédigé depuis Dieulefit par le philosophe Pierre Emmanuel : des textes très inspirés de ses heures passées, notamment sur le plateau d’Ambel, avec les résistants drômois dont il fait un portrait plein d’humanité.

Ce tout jeune homme va avoir la chance inouïe de côtoyer, à leurs débuts, précisément issus des mouvements de résistance, toute la nouvelle génération de journalistes. Ainsi de Georges de Caunes, future vedette de la télévision naissante, ainsi de Jean Laborde (L’Aurore), ainsi de Pierre Joffroy (Le Parisien Libéré, Paris Match, le Nouvel Observateur), ainsi de Robert Treno (Le Canard Enchaîné), ainsi de Jacques Chapus (France Soir, RTL), ainsi de Madeleine Jacob (Libération, L’Humanité) à laquelle j’ai emprunté la si juste formule pour le titre du livre : Le reporter en couleur.

Et puis il y a l’immense ami, le parrain d’une certaine manière, celui qui avouera un «coup de foudre» dans l’amitié qui les a unis : Joseph Kessel. Il est difficile de ne pas être troublé à la lecture de François-Jean Armorin par la proximité de style qu’il a avec le grand écrivain Kessel. 

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François-Jean Armorin, à droite, attablé avec, entre autres, Joseph Kessel, au fond à gauche. Crédit photo : Fonds photographique famille Armorin

Armorin est toujours en gros plan sur les scènes qu’il décrit, sur les personnages qu’il dépeint. On rêve qu’il ait eu une caméra: il était fait pour filmer.

Le voici dans une France ruinée par le conflit dont on mesure, grâce à lui, le niveau d’effondrement dans l’immédiat après-guerre. Il raconte au plus près, toujours au plus près, les petits trafics, la découverte des sales combines qui ont eu lieu pendant la guerre, les enfants des rues misérables. Il suit les troupes libératrices au milieu des décombres, passe en Allemagne, en Pologne. Puis, il retrouve en France des libérés des camps de concentration, dont on s’occupe un temps, puis qu’on laisse tomber.

LE TAILLEUR DE BRATISLAVA

Survient la grande affaire qui lui vaudra le prix de journalisme Claude Blanchard : celle de l’arraisonnement de bateaux de juifs tout juste libérés des camps, interceptés par la marine britannique pour les empêcher de gagner la Palestine. C’est, en 1947, le fameux épisode de l’Exodus et avant cela du Théodor Herzl, du nom de deux de ces navires. Gonflé comme il n’est pas permis, Armorin monte sur le second sous couvert d’être un tailleur de Bratislava… Il raconte les péripéties d’une traversée à bord d’un vieux cargo rouillé, puis son arrestation, avec tous les autres, par l’armée britannique et son enfermement dans un camp de prisonniers à Chypre.

Curieusement, à mesure qu’on le lit, monte le sentiment qui semble le gagner d’un monde qui se défait. Son dernier reportage en Indochine, comme avant cela en Afrique du Nord, laisse deviner ce qu’il ne verra pas : l’indépendance s’imposera.

Ce fut un formidable témoin d’une France libérée mais qui ne parvient pas à retrouver l’élan. Tous ceux qui l’ont connu disent, dans des témoignages pleins d’affection, que, pour une fois, il n’avait pas envie de partir en Indochine pour ce dernier reportage. Comment ? Lui ?

Et, de fait, il n’est pas revenu. Est-il possible qu’il ait eu une manière de pressentiment ? Le lecteur des très nombreux récits que l’on retrouvera dans le livre ne peut se défaire du sentiment qu’il prévoyait l’issue.

Dans la nuit du 12 au 13 juin 1950, à l’instant de se poser à Bahrein, l’avion qui le ramenait de Saigon s’est crashé en mer. Quelques jours plus tard, le journaliste Pierre Joffroy accompagne son confrère André Sévry à l’avion qui doit l’emmener à Bahrein, où il espère, à tort, pouvoir reconnaître le corps du jeune reporter. Sévry dit à Joffroy : «S’il m’arrive quelque chose, je veux être enterré à Crest, à côté de François-Jean ». On n’a jamais retrouvé le corps de François-Jean Armorin.

Jacques Mouriquand

François-Jean Armorin : le reporter en couleur,
Éditions Ampelos. En librairie en juin.

Un crash et une rumeur

Une rumeur a couru selon laquelle l’avion dans lequel se trouvait François-Jean Armorin aurait été saboté, Armorin revenant du Vietnam avec des articles très critiques sur la pègre qui trafiquait dans la région. Il est exact que, sur place, il eût de sérieux accrochages avec elle. Il est exact qu’il avait demandé à son journal de rentrer. Mais il est non moins exact que le lendemain du crash, pratiquement à la même heure, sur la même ligne, au même endroit, un deuxième appareil de la même compagnie, Air France, se crashait également. Deux sabotages pour un même homme, c’est peu crédible.

La commission d’enquête n’a pas trouvé de trace suspecte dans les restes des appareils. Le fait que le commandant Jean Sladek n’ait pas dormi pendant vingt-deux heures avant l’accident est troublant. Malgré les protestations de celui-ci, survivant du drame pour son malheur, affirmant que les appareils de bord lui indiquaient qu’il était à huit cents mètres d’altitude, on doit bien constater qu’on ne possède rien de sérieux qui confirme l’hypothèse du sabotage, examinée en détail dans le livre.

Article publié dans Le Crestois du 12 mai 2023

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