La nuit tombée sur nos âmes
Après l’ambitieuse Trilogie Benlazar (déjà chroniquée dans nos colonnes) dans laquelle il détaillait la naissance du terrorisme islamiste, Frédéric Paulin continue son exploration des soubresauts de notre histoire récente.
Il y a 22 ans, en juillet 2001, les dirigeants des principales puissances de la planète se retrouvent à Gênes pour un sommet du G8. En parallèle, 500 000 jeunes manifestants convergent également vers la ville italienne pour y défendre un projet alternatif à la mondialisation néolibérale.
Mais ces rassemblements, qui se voulaient pacifiques, dérapent soudain dans un déferlement de violence urbaine, jusqu’à provoquer la mort d’un jeune militant italien, Carlo Giuliani, tué par les carabinieri.
Frédéric Paulin, alors âgé de 28 ans, se trouvait parmi les manifestants. Il en reviendra choqué, marqué à jamais, désabusé comme bon nombre de ces jeunes militants qui pensaient pouvoir changer le monde. Vingt ans plus tard, il publie La nuit tombée sur nos âmes, un thriller qui retrace en détail de déroulement de ces trois jours de folie.
Les deux personnages principaux du roman, Wag et Nathalie, sont venus de France grossir les rangs du mouvement altermondialiste. Militants d’extrême-gauche, ils ont l’habitude des manifs un peu houleuses. Mais la répression policière qui va se déchaîner pendant trois jours dans les rues de Gênes est d’une brutalité jamais vue, attisée en coulisses par les manipulations du pouvoir italien et de certains responsables français qui jouent aux apprentis-sorciers. Et si les black blocs étaient infiltrés et manipulés par le pouvoir pour discréditer la cause défendue par les manifestants ? À qui profite réellement les violences urbaines ? Pris dans la tourmente, nos deux jeunes idéalistes vont perdre leurs illusions et entrer brutalement dans l’âge adulte.
Comme dans ses précédents romans, Frédéric Paulin soulève des questions mais ne donne pas de réponses tranchées. Il décrit les événements, expose tous les points de vue (manifestants, black blocs, policiers, hommes politiques...) et nous montre que la réalité est complexe et ne peut se réduire à une vision binaire « gentils contre méchants ».
Inspiré de faits réels, formidablement documenté, voilà un thriller immersif, abrupt et haletant, qui témoigne de cette violence étatique dont nos démocraties sont parfois capables.
Philippe Multeau
Article publié dans Le Crestois du 28 juillet 2023
Photo : Image de Drazen Zigic sur Freepik