« La violence à l’école n’augmente pas, mais elle change »

Entretien avec Éric Debarbieux, spécialiste de la violence à l’école, et auteur de "Zéro pointé ? Une histoire politique de la violence à l'école"

Pourquoi la question de la violence à l’école fait-elle autant débat dans la société ?

C’est normal d’être inquiet pour ses enfants, c’est un souci familial qui peut se comprendre. Ceci étant, il y a eu une récente mise à jour de ce qu’on considère comme de la violence ces dernières années. Ce n’est que depuis 2010-2011 qu’on parle de harcèlement alors que ça existe depuis toujours ! C’est aussi devenu une question sociétale sur un supposé « ensauvagement » de la jeunesse, un concept auquel je ne crois pas. A cela s’ajoute la récupération politique du moindre fait divers.

Sur quoi se base votre livre Zéro pointé ? Une histoire politique de la violence à l'école (Editions Les Liens qui libèrent, 2025) ?

J’ai été instituteur à Crest il y a quelques années déjà, j’ai donc une expérience de terrain. Je suis également chercheur depuis 40 ans sur ces questions, j’ai recueilli des dizaines de milliers de témoignages dans le cadre d’enquêtes de victimisation. C’est aussi une histoire politique que je retrace, celle de la prise en charge des gouvernements successifs de cette question, en gros de François Bayrou, ministre de l’éducation, jusqu’à Gabriel Attal. C’est donc un panorama assez exhaustif que je dépeins, avec ces trois dimensions, terrain, recherche et politique car j’ai aussi été dans le ministère.

En quoi la violence à l’école fait-elle l’objet de récupération politique ?

L’actuelle manière qu’on a de faire de la politique aujourd’hui, d’habiter ensemble dans la cité qui est la définition de la politique, est une catastrophe. Or dès qu’augmentent la haine de l’autre, l’homophobie, le racisme, cela a un impact direct dans les cours de récréation. L’exemple de haine que montrent les adultes a des conséquences sur les enfants. C’est un point qui, à mon sens, mérite débat, et c’est ce que j’espère que nous aurons lors de cette conférence. Le but est bien que tous ensemble nous discutions de ce sujet à cette occasion.

Vous avez exercé à Crest. La vallée de la Drôme est-elle concernée par ce phénomène ?

Tout dépend de ce qu’on appelle la violence à l’école. Si on parle de faits divers très choquanst, on en est loin, comme un peu partout en France. Par contre, la petite violence ordinaire que sont les petites bagarres, les insultes, le harcèlement… ce phénomène est présent partout, et c’est important d’en parler pour la prévenir ou y faire face. Il ne faut ni l’exagérer, ni la nier.

Y a-t-il ou non augmentation de la violence à l’école ?

C’est une question qu’on me pose depuis quarante ans. Si on parle en terme global, la réponse est non. Il y a une prise de conscience de l’importance de la violence ordinaire, oui, et c’est une bonne nouvelle. Qu’on se rende compte que ce n’est pas normal d’être harcelé est un progrès. La violence envers les professeurs n’a pas augmenté non plus. Ça ne veut pas dire que c’est rassurant pour autant !

Ce qui augmente, en revanche, ce sont les actes de racisme, d’homophobie et de transphobie envers les enseignants. Ce qui ressort surtout de ma dernière enquête (j’ai analysé 48 000 questionnaires d’enseignants entre 2023 et 2024), c’est l’augmentation de la violence entre adultes. L’enquête fait ressortir des conflits dans les équipes, le refus de travailler ensemble, le ras-le-bol de l’administration, de la hiérarchie, voire des ministres même... Ce qui me frappe c’est quand on m’appelle pour parler de violence, on ne me parle jamais des élèves, mais des adultes, ce qui est très paradoxal. Enfin, cette violence est aussi différente, plus rapide grâce aux réseaux sociaux. Il faut donc rester nuancé sur ce sujet.

Propos recueillis par Blandine Flipo

Zéro pointé ? Une histoire politique de la violence à l'école (Editions Les Liens qui libèrent, 2025)

Article publié dans Le Crestois du 26 septembre 2025