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Conte sylvestre : le retour du Séquoia

Texte du 24 décembre 2020 de Rhodoïd.

Cette histoire, quelque peu rocambolesque mais non dénuée de vérité, commence avec le mois d'août 2020. Au sortir du confinement, à l'image du zèbre crestois, tout le monde a envie de se dégourdir. Le vent, lui, sort de ses gonds et souffle la tornade. Au rond-point ouest, à l'entrée de Crest, c'est la tempête, bien pire que celle des gilets jaunes.

En contrebas du château de Beauregard, la forêt en bord de route est secouée, chahutée, bringuebalée ! Pour nous autres, petit peuple des animaux de la forêt, c'est « tous aux abris ». Les mulots, les lézards, les belettes s'enfouissent sous terre. Les fauvettes, les pies, corbeaux, sitelles et autres pics abandonnent leur nid dans les arbres trop frèles et se réfugient dans la frondaison du gros conifère. Dans leur fameuse auberge de jeunesse « Au sequo-y-a de la place pour tous »...

Et le vent s'est déchaîné si fort que les arbres ivres de vent sont tombés sur la route. Nous, on était planqués. Mais un gamin chevauchant un scooter s'est fait faucher par un pin... Et depuis ce jour, rien n'est plus comme avant. Les humains, ils adorent la nature, mais si elle touche à l'un des leurs, surtout un gosse, ils ne pardonnent pas. Et ça peut se comprendre. Chez les humains, y-a un truc terrible, c'est les lois. Aussi important que les banques et les assurances. D'ailleurs, ils ont emménagé ensemble les banques et les assurances...

Nous les bêtes, on s'est résigné ; on est rentré dans nos nids et nos terriers et on a attendu. Au moment où les blaireaux et les martres s'apprêtaient à hiberner, voilà qu'ils sont arrivés avec leurs tronçonneuses. Dans la fumée et un vrombrissement sidéral, ils ont abattu conifères et feuillus, les uns après les autres sur une vingtaine de mètres de large et cent mètres de long... Un vrai jeu de « massacre à la tronçonneuse ».

Alors nous, pas si bêtes, on s'est réfugié une fois de plus dans le squat du « sequo-y-a toujours de la place pour toi ». C'était le vrai HLM là dedans ! Les écureuils s'en donnaient à coeur joie, sautant à travers les volées d'étourneaux ; les chouettes ululaient, réveillées par le marteau-piqueur des pics épeiches et les trilles des fauvettes. Faut dire qu'il avait de l'allure, le séquo, désormais seul au milieu de ce champ de bataille, révélant toute sa stature. Trois troncs s'élevaient à une trentaine de mètres, malheureusement ététés par la foudre (même pas mal), un tronc de dix mètres de circonférence, ça rassure !

Quand on les a vus revenir, les tronçonneurs fous, la nouvelle s'est propagée comme une traînée de poudre ; les besoins de la 5G dans la forêt, tous les bestiaux sont descendus pour encercler notre séquo. Le pare-choc de choc : les lézarts verts, les fourmis, les araignées... Tout ce qui fout les jetons, les corbeaux, les freux, les pies, les chauves-souris se sont mis à voler en rasemotte et à foncer sur les bûcherons... qui ont plié bagage. Hurlements de joie chez les défenseurs du conifère.

Lorsque le calme est revenu, celui-ci nous fait entendre son timbre de voix charpenté de 149 ans d'âge « Merci les amis, c'est le plus beau jour de ma longue vie ! Mais sachez que les humains reviendront, plus nombreux, avec de plus grosses tronçonneuses. L'homme ne supporte pas qu'on lui résiste. Cette fois, laissez les faire. » La stupeur et l'agitation s'emparent des animaux. « Écoutez, j'ai poussé ici par hasard, en 1871. Des insurgés venus d'Antraigues, en Ardèche, ont fait la pause pour prendre des forces avant de défendre les libertés à Crest et une graine a sauté de la poche de l'un d'entre eux... C'est pourquoi je suis né ici... Sauvez-vous les amis, installez-vous au coeur de la forêt, laissez-les faire, je n'ai pas dit mon dernier mot ».

Comme vous le savez déjà, les bûcherons sont revenus. Ils ont fait tomber le grand séquo. Et quand l'arbre s'est fracassé par terre, toutes ses petites graines se sont échappées de ses aiguilles. Elles ont sauté comme des puces. Elles se sont confinées dans l'humus, prêtes à rejaillir pour une nouvelle aventure.

Au fait, je suis sûr que vous avez remarqué que depuis un fagot de temps, les fayards, les érables et surtout les chênes font triste mine. Nombreux sont ceux qui ne repartent pas au printemps prochain... Les gardes forestiers, d'ici et d'ailleurs, testent de nouvelles plantations, d'espèces qui seraient mieux adaptées au réchauffement de la planète et à la mutation du monde. Et c'est le séquoia qui a été choisi. Il va donc en pousser des myriades ! Ne dit-on pas un de perdu mille de retrouvés ?

Rhodoïd

Une histoire publiée dans Le Crestois du 25 décembre 2020

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