Au risque de perdre la vie
Tribune du 22 janvier 2021 d’Irène Libert.
Autour de moi, je sens monter une espèce de résignation, une sorte "d’àquoi- bonisme", qui m’inquiète et me rend un peu morose. J’ai l’impression qu’on vire doucement du côté de la dépression et, même si je peux le comprendre, je ne peux que regretter cette posture qui nous enlève notre joie de vivre et qui grignote jour après jour notre capacité d’indignation et d’action.
Certes, depuis bientôt un an, nous vivons une période déstabilisante, c’est le moins que l’on puisse dire. Une véritable fracture dans nos habitudes de vie s’est opérée avec ces impératifs de confinement, puis de déconfinement, puis de couvre-feu ; beaucoup ont du mal à comprendre la cohérence des consignes sanitaires ; nous pouvons mesurer les conséquences qu’elles entraînent dans notre vie relationnelle et affective.
Nous sommes des êtres de relation ; nous avons besoin de proximité, de nous réchauffer les uns aux autres surtout dans ces périodes de grande anxiété. Les neurosciences ont déjà prouvé à maintes reprises les effets dévastateurs de l’isolement chez tout le monde, mais particulièrement chez les enfants les jeunes et les plus âgés. Curieusement, cette pandémie nous fera prendre conscience de l’impérieuse nécessité de partager des moments, qu’ils soient joyeux ou malheureux.
Me revient en mémoire le souvenir d’une personne âgée habitant un quatrième étage à la Croix-Rousse, à Lyon, sans ascenseur, lorsque j’étais assistante sociale. À chaque visite hebdomadaire, elle me demandait de relever mes manches, et passait le temps imparti à la visite à me caresser les bras, le plus souvent silencieusement. Je ne mesurais pas à l’époque l’importance que cela pouvait avoir pour elle, dans son désert affectif…
Il est important de ne pas propager le virus, évidemment ; mais il est aussi important et même essentiel de répondre à nos besoins qui ne sont pas, loin de là, que matériels. Soyons attentifs les uns aux autres et continuons à vivre, à nous rencontrer, à nous côtoyer sans être dans la peur. Au risque de perdre la vie, ne nous empêchant pas de vivre.
Irène Libert
Tribune publiée dans Le Crestois du 22 janvier 2021