Le festival Mozart chante-t-il encore pour Saoû et pour la Drôme ?
Tribune de Bérengère Colon-Fuoc, fille du fondateur du festival, Daniel Gilles, conseiller départemental, et Raphaël Paillot, maire de Saoû.
L’affiche du festival Saoû chante Mozart dans le métro parisien en 2014
En 1989, Henry Fuoc, Maire de Saoû et amoureux de Mozart, fonde le festival Saoû chante Mozart. « J’étais maire de Saoû, témoigna-t-il. C’était une petite commune de 335 habitants à qui j’ai souhaité donner une notoriété qui dépasse le seul cadre de sa forêt ». D’abord centré sur le village de Saoû, le festival s’étend très rapidement dans toute la Drôme, tout en gardant chaque année de très nombreux concerts à Saoû.
Le festival prend de l’ampleur, au niveau régional, national et international. Il fait venir des artistes de renommée mondiale comme Michel Portal, Fazil Say ou les frères Capuçon. En trente-cinq ans, on se rappelle tous d’un concert magique dans la forêt de Saoû ou encore de la découverte d’endroits insolites dans toute la Drôme pour y écouter du Mozart : de Châteauneuf-de-Bordette au Palais idéal du facteur Cheval, en passant par Suze-La-Rousse. Du nord au sud de la Drôme, le festival s’est invité dans plus de trente communes depuis sa création.
Henry Fuoc a toujours été attaché à trois principes forts : un festival rigoureusement mozartien, le choix de lieux insolites qui font découvrir la Drôme (parfois au détriment de l’acoustique) et le maintien d’un fort ancrage à Saoû, doublé d’une simplicité et d’une ouverture (« Mozart sans cravate ») qui lui a valu un article de presse dans Libération. Le festival a contribué, à sa hauteur, à faire rayonner Saoû et la Drôme.
Le Département et de nombreuses communes de la Drôme ont toujours été d’un soutien infaillible vis-à-vis de ce festival. La commune de Saoû contribue fortement au festival, notamment en mettant, à titre gracieux, des bureaux au sein de la Maison des associations.
Alors que nous nous réjouissions de fêter cette année les trente-cinq ans du festival… nous apprenons avec stupéfaction, colère et tristesse dans les colonnes du Crestois que le conseil d’administration a décidé de changer le nom du festival : « Le festival Saoû chante Mozart » deviendrait « Le festival Mozart ».
Saoû, et donc la Drôme, n’y apparaissent plus et on met en avant Mozart dans le nom d’un festival qui s’est à ce point éloigné de l’esprit mozartien qu’il a pour thème cette année Haydn ! Non seulement ce choix nous apparaît incohérent et illisible, mais nous déplorons la façon dont cette décision a été prise, sans même un vote de l’assemblée générale, sans concertation officielle avec les élus, et sans même que la famille d’Henry Fuoc en soit informée. On ne peut tourner la page de manière si brutale et arbitraire non seulement sur un nom, mais sur une histoire, celle d’un festival villageois devenue une référence dans le monde de la musique classique.
La direction du festival justifie le changement de nom par le fait que « le festival se déploie depuis plusieurs années dans tout le département et a atteint une envergure nationale ». Or, il a atteint cette envergure il y a déjà des décennies, comme en attestent les campagnes d’affichage publicitaire dans le métro parisien mettant en avant Saoû et la Drôme, ou comme en atteste son jumelage très ancien avec plusieurs festivals mozartiens à l’étranger. On nous dit aussi que le nom de Saoû serait difficile à prononcer. Au vu de ces arguments, on se demande bien pourquoi le festival de Salzbourg et celui de la Roque-d’Anthéron n’ont pas changé de nom !
À nos yeux, cette décision arbitraire met en danger non seulement l’image du festival et son histoire, mais aussi et surtout son avenir. Si ce festival est grand, il le doit à son ancrage territorial, aussi bien à Saoû que dans toute la Drôme, et à la conviction et la détermination d’hommes et de femmes de terrain qui ont su le faire grandir patiemment. Pour cette raison, nous en appelons à la sagesse des membres de l’assemblée générale du festival, pour qu’ils mettent en échec cette décision aussi funeste que hors-sol.
Bérengère Colon-Fuoc, fille du fondateur du festival,
Daniel Gilles, conseiller départemental et ancien maire de Saoû,
et Raphaël Paillot, maire de Saoû
Tribune publiée dans Le Crestois du 3 mai 2024