« Un seul bulletin suffira »
Tribune du 26 juillet 2024 de Frédérike E.
Le matin du dimanche 7 juillet, je suis partie voter à vélo, pleine d’espoir, souriante et me faisant l’obligation de saluer toutes les personnes que je croisais, sachant désormais que je disais obligatoirement bonjour à une personne mauvaise ou assez stupide pour croire que l’autre était le danger.
Je suis ensuite allée au village d’à côté pour accompagner ma grand-mère de 99 ans au bureau de vote, contrainte depuis peu d’alterner entre chaise roulante et cannes de marches. Arrivée devant les locaux, elle a tenu à se lever en me disant : « Je voterai debout ». Je compris alors qu’elle avait peur, le visage fermé, presque buté, et qu’une colère sourde bouillonnait en elle. Une fois la carte déposée elle me dit brusquement : « Un seul bulletin suffira. » Je lui expliquai qu’elle n’avait pas le droit et qu’elle devait prendre les deux bulletins. Elle me répondit, catégorique : « Hors de question que je touche ça », puis marmonnant un « salaud de fasciste », franc et assumé. Les gens nous regardaient presque choqués mais, moi, j’étais tellement fière de la farouche détermination de ma mamie à ce moment-là, je pris pour elle les deux bulletins et attendais que, trottinant, elle parvienne enfin à l’isoloir.
Cette année encore elle a voté, pas pour elle mais pour nous, pour tous, pour l’avenir et l’espoir, pour la justice et la paix sociale, pour le partage et la bienveillance, pour que la peste brune ne revienne pas semer la terreur et éveille en nous les plus bas instincts.
Merci pour les générations à venir, pour la planète et merci aussi pour cette grand-mère qui, un jour, a été cette jeune fille adossée à un mur avec ses frères et soeurs parce qu’ils crevaient de faim, qu’ils avaient braconné des lièvres et que les nazis ont voulu fusiller. Mais ça, c’est une longue histoire, histoire qui ne doit pas se répéter… Merci pour elle, elle s’appelle Camilia et est fière de cette page de l’histoire qui s’est déroulée ce soir du 7 juillet. Elle est fière de vous.
Frédérike E.
Tribune publiée dans Le Crestois du 26 juillet 2024