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La Pelle est en deuil

Hommage à Denis Benoit, par son ami Pascal Moreau.

Denis,

« Mon capitaine ! », une chanson de François Buffaud que j’écoute en boucle depuis quelques jours. Et je pleure…

Je pleure un mari, un père, un frère, un beau-frère, un oncle, un maire, un président investi pour son territoire… Je pleure un fils, le fils de Paulette qui aura tenu sa main jusqu’au bout, et « ça, me disait-elle hier, c’est pas… normal ».

Je pleure un défricheur de falaises aux mains d’acier, capables de vous broyer la main lors d’un simple bonjour ou de caresser délicatement le rocher, un traceur de lignes verticales imaginées secrètement, un alpiniste amoureux des cimes enneigées, un coureur à pied toutes saisons, un skieur aux tubes qui collent dans les poches, un bâtisseur d’igloos, un vététiste qui file en douce, un bénévole fidèle aux Balcons de la Drôme ou au Vélo Club de Saillans, un prof motivé, plein de projets, un souleveur de machine à laver, un pousseur de brouette, un complice de soirées mémorables…

Je pleure l’inconnu à la 4L verte, devenu un ami, un compagnon de cordée, attaché par un bout d’ficelle de quelques millimètres de diamètre, un cordon ombilical ô combien conducteur qui nous aura reliés dans ses 3 Becs chéris, Parfum d’Opale, les Fruits du Soleil et bien d’autres encore, des voies où la sortie par le haut était impérative… Un soir de juin 1991, sortie au sommet, mon capitaine à la proue de son navire, contemplant le coucher du soleil sur Roche Colombe, magique ! Mais… : « T’as une frontale ? – Ben non… » Les chamois du Pas de Picourère se souviennent encore de ces deux bipèdes, chargés comme des mules, rampant sur les fesses dans une nuit sans lune…

La Pelle est en deuil, et ce lundi, elle est restée cachée, toute humide d’un ciel déversant ses pleurs, n’osant pas se montrer, n’osant pas dévoiler son immense tristesse, toute à chérir son enfant perdu… Puis, se souvenant de ces yeux à la recherche du passage, de la douceur de ses mains, de ses caresses voluptueuses, de son corps ondulant, effleurant ses précieux silex, elle s’est découverte, laissant le soleil inonder de lumière ses tatouages invisibles.

Denis, mon capitaine, nous ne sommes pas partis au bout du monde, mais avec toi, j’aurais pu, les yeux fermés…

Pascal Moreau

Tribune publiée dans Le Crestois du 19 septembre 2025

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