Nightwish "Imaginaerum" (2012)
Lorsqu'on parle de metal à chanteuse, il est toujours difficile de ne pas faire référence à l'un des piliers du style, le groupe qui a démocratisé le genre : Nightwish.
Mais cette fois-ci c'est d'un album de la référence dont il s'agit, et ce très attendu 7ème album de Nightwish devait répondre à la question : le roi allait-il garder son trône ? C'est ce que nous allons voir...
Une précision, tout d'abord.
Cet album est le deuxième enregistré avec sa nouvelle chanteuse Anette Olzon (après le départ compliqué de Tarja Turunen, la chanteuse originelle, en 2005), et il est clair que le combo finlandais a fait le choix de changer totalement de style de vocaliste. Si Tarja chantait dans un registre lyrique, Anette, elle, a une voix plus rock, voire plus pop.
Le Nightwish première époque est définitivement révolu, et les inconsolables de Tarja devront faire preuve d'ouverture d'esprit pour adhérer pleinement à la nouvelle incarnation du combo.
Ces bases posées, entrons de plein pied dans le monde d'Imaginaerum...
La première chose qui saute aux yeux, c'est que Tuomas Holopainen (« l'âme » de Nightwish, puisqu'en plus de tenir les claviers il est le compositeur et auteur quasi-exclusif du groupe) a encore accouché d'une œuvre conséquente : 13 morceaux pour plus d'une heure de musique (dont une nouvelle chanson-fleuve de plus de 13 minutes « Song of myself », réussie bien qu'un peu en deçà de « The poet and the pendulum » de « Dark passion play »).
Le prolifique compositeur continue son exploration du mélange entre musique heavy et musique orchestrale (le combo a une nouvelle fois fait appel à un orchestre symphonique, mais aussi à des musiciens traditionnels et à une chorale d'enfants), et a réussi une fois encore à repousser les limites de cette association.
Conçu, de l'aveu même de Tuomas, comme une seule pièce musicale divisée en treize parties, « Imaginaerum » réalise la fusion parfaite entre les genres et évoque régulièrement une bande originale de film, ambiance Tim Burton (le puissant « Rest calm », avec ses changements de rythmes et d'ambiance, le rapide « Last ride of the day », ou encore l'excellent « Scaretale », avec son passage musique de cirque dégénéré et sur lequel Anette se mue en sorcière et Marco en Mr Loyal inquiétant). Ce n'est d'ailleurs pas pour rien que le groupe a décidé de porter l'album sur grand écran en faisant réaliser un film (sorti en 2012) développant le concept général du cd, à savoir l'importance des souvenirs.
En ce sens, Imaginaerum se rapproche plus de Once (5ème opus du combo, le dernier avec Tarja) que de son prédécesseur direct, le mitigé « Dark passion play » (trop hésitant et inégal).
Cependant, il y a deux différences majeures avec ces deux albums.
La première, c'est que « Imaginaerum » est beaucoup plus homogène et cohérent que ne l'étaient ses deux prédécesseurs. On peut véritablement parler de concept-album (la dernière chanson du disque est d'ailleurs un instrumental orchestral très réussi reprenant un à un tous les thèmes de l'album), et tous les titres forment un ensemble cohérent à la progression rythmée et parfaitement orchestrée.
La deuxième, c'est que les musiciens livrent ici une prestation bien au dessus de celles des précédents opus. C'est certainement dû au fait que le groupe ait retrouvé une certaine sérénité interne, mais aussi à la qualité des compositions de Tuomas, laissant à chacun de ses musiciens la place de s'exprimer : orchestrations grandiloquentes et originales (la cornemuse folk sur « I want my tears back », « Scaretale », « Arabesque », « Last ride of the day »,...), retour des guitares plus tranchantes (le pont de « Ghost river », le riff épais de « Rest calm »,...) et des soli inspirés (le très jazzy de « Slow, love, slow », le plus rock de « I want my tears back »,...), rythmiques inventives (les changements de rythme de « Rest calm », le jeu au balais (!) de Jukka Nevalainen (batterie) sur « Slow, love, slow », les toms sur « Arabesque »,...).
Quant à la performance des deux vocalistes, Marco et Anette, elle est tout simplement au dessus de tout soupçon. La complémentarité de leurs deux voix est mieux utilisée que jamais, et la chanteuse, enfin libérée du poids qui pesait sur ses épaules (il lui a fallu un énorme courage pour remplacer Tarja...), prend enfin ses responsabilités en délivrant quelques parties de chant tout bonnement époustouflantes (le très positif et dynamique single « Storytime », qui ouvre l'album, et son pendant « Last ride of the day », mais aussi sa prestation tout en retenue sur le très jazzy « Slow, love, slow »,...).
Au final, « Imaginaerum » se révèle être un album très mélodique (véritable marque de fabrique du groupe, les mélodies sont une nouvelle fois terriblement accrocheuses et efficaces), mais incontestablement puissant et dense, d'une ambition démesurée mais maitrisée, et à la production exceptionnelle repoussant les limites des orchestrations dans le metal.
Une œuvre inspirée, cohérente, équilibrée, peaufinée à l'extrême, où chacun des (très) nombreux intervenants apporte sa pierre à l'édifice, mais toujours au service de la musique.
Et avec cet album indispensable, Nightwish se pose plus que jamais en 2102 en référence absolue du genre metal symphonique à chant féminin. Position qu'il occupe toujours aujourd'hui.
Olivier Chapelotte
Article publié le 17 juin 2020