Baguirmi Jazz (2022)
C’est un voyage à la lisière du jazz et de la musique traditionnelle du Baguirmi, issue des rives du fleuve Chari, au Tchad. Le dernier album du saxophoniste saillanson Doro Dimanta, enregistré en 2021 à N’Djamena avec l’ensemble Khalélé, est une petit trésor musical à écouter pour au moins deux raisons. D’abord parce qu’il offre une escapade sonore unique où les accents jazz - voire freejazz - du saxophone ténor (ou soprano) de Doro Dimanta se mêlent sans entrave aux cithares traditionnelles de l’orchestre tchadien.
Ensuite parce qu’il immortalise des thèmes rares et méconnus du répertoire baguirmien dont il s’agit, par cet album, de « sauver, sinon de retarder l’extinction », est-il expliqué dans la pochette (éditée à l’Imprimerie du Crestois). L’orchestre Khalélé est en effet l’un des derniers à interpréter et transmettre une tradition musicale dont les origines remontent au XVIe siècle, lorsque le royaume du Baguirmi, avec le Ouaddaï et le Kanem- Bornou, fut l’une des trois grandes composantes du Tchad, avant la colonisation européenne.
En langue Baguirmi, Khalélé signifie « amour de l’art », ou « amour de la musique ». Constitué autour d’une grande cantatrice surnommée « Maman Ildjiama » (disparue en 2012), l’orchestre repose sur un instrument roi : la cithare. Où plutôt... sur cinq cithares, qui explorent cinq tessitures, de la plus grave (« celle qui parle le plus ») à la plus aïgue. Cinq citharistes virtuoses dont certains gravitent dans le monde de la musique traditionnelle tchadienne depuis les années 1960. Sans compter, dernier membre de la formation, le balafoniste Guindja Mah, qui est aussi chorégraphe et directeur du ballet national tchadien.
On se situe donc dans une tradition musicale savante qui interprétait, à l’origine, une «musique de cour » que seuls étaient autorisés à jouer les enfants de la noblesse baguirmienne - avant que la pratique de la cithare ne se démocratise. Le répertoire de Khalélé est resté attaché aux traditions de l’ancien royaume : on y entend par exemple les musiciens chanter les louanges du « grand laboureur Moussa Djoko », ceux du dauphin du roi, de sa première épouse ou de sa première fille, ou encore des ministres de l’intérieur et de la défense...
Une dimension traditionnelle dans laquelle Doro Dimanta se fond avec discrétion, y ajoutant subtilement ses touches de jazz et d’improvisation. Pour ceux qui ne le connaîtraient pas encore, Doro est un musicien bien connu à Saillans et dans la vallée. Né à Koumra, au Tchad, en 1954, il a participé à de nombreuses formations musicales dans la Drôme et au-delà, et s’est également illustré pour ses talents de conteur... Il a aussi eu l’occasion, dans sa longue carrière, de croiser sur sa route des musiciens tels que le saxophoniste américain Archie Shepp, le contrebassiste Etienne Roche ou le pianiste Jef Gilson...
Si aucune tournée de Doro Dimanta & Khalélé n’est aujourd’hui prévue, on espère tout de même avoir la chance de voir l’orchestre se produire un jour dans la vallée de la Drôme... En attendant, vous pouvez trouver le CD à la boutique-galerie La Girouette, à Crest (13 rue Maurice Long), ou à la librairie saillansonne L’Alimentation générale (30 grande rue).
Vous pouvez aussi directement contacter Doro Dimanta :
06 84 85 55 83 / Cette adresse e-mail est protégée contre les robots spammeurs. Vous devez activer le JavaScript pour la visualiser.)
Martin Chouraqui
Article publié dans Le Crestois du 28 avril 2023