Covid-19 : comment les malades de la vallée sont-ils pris en charge ?
Notre région n'est pas épargnée par le virus. Les malades les plus affectés sont pris en charge par les hôpitaux de Crest, de Valence et de Montélimar, avec les moyens disponibles...
Le coronavirus s'est donc immiscé jusque dans les petits villages de la vallée de la Gervanne. L'alerte est venue d'Héloïse Krier, médecin de la vallée, qui a adressé un courrier à la mairie de Beaufort le vendredi 20 mars : « Je vous confirme la présence de plusieurs cas avérés avec tests positifs sur la commune de Beaufort et plusieurs autres cas sur les communes de la vallée. Sans compter les cas très suspects présentant des symptômes divers compatibles avec le Covid-19 », précise le docteur Krier, avant d'inviter les habitants à « prendre conscience » de la présence du virus même dans des endroits isolés, et de les appeler à « adopter une attitude responsable ».
À Saillans, on compte quelques cas suspects. À Blacons et à Aouste également. À Crest aussi, ainsi qu'à Grâne ou à Chabrillan... Les cabinets médicaux de la vallée ne sont pas épargnés, et plusieurs médecins présentants des symptômes sont actuellement confinés chez eux. S'il est un peu moins touché que d'autres régions françaises, notre territoire ne fait toutefois pas exception.
Selon le bilan de l'Agence régionale de santé (ARS) publié mercredi 25 mars, le département de la Drôme compterait 119 cas. Sur l'ensemble de la région Auvergne-Rhône-Alpes, « 2093 cas sont confirmés biologiquement au Covid-19 », soit 236 de plus que la veille. Des chiffres qu'il faut toutefois prendre avec des pincettes : « Toutes ces données sont communiquées à titre indicatif et confirment une tendance mais sur une partie de la population seulement », précise en effet l'ARS. En début de semaine, l'Agence expliquait déjà au Crestois que « le nombre de cas annoncés ne représente plus la totalité des personnes infectées par le virus ».
DES CHIFFRES DIFFICILEMENT LISIBLES...
Pourquoi un tel décalage entre les chiffres officiels et la réalité de l'épidémie ? À cause de la pénurie de tests de dépistage du coronavirus, qui empêche de se faire une idée précise de l'étendue de l'épidémie. Selon l'ARS, seules sont testées les personnes hospitalisées pour des « formes sévères voire graves de la maladie » ; les personnels de santé présentant des symptômes ; les « premiers cas possibles en Ehpad (Établissements d'hébergement pour personnes âgées dépendantes) » ; les femmes enceintes et les donneurs d'organes. Toutes les autres personnes présentant des symptômes, confinées chez elles, suivies ou non par la médecine de ville, échappent donc aux statistiques de l'ARS.
Dans un communiqué publié jeudi 26 mars au soir, l'Agence précise en outre qu'elle a fait évoluer sa doctrine de « surveillance épidémiologique ». Désormais, elle ne prendra plus en compte les tests réalisés par les laboratoires de biologie médicale. Elle ne comptera plus que les patients hospitalisés et les décès en milieu hospitalier. Sur cette question du nombre de morts, l'ARS Auvergne-Rhône-Alpes souffle d'ailleurs le chaud et le froid depuis le début de la semaine. Après avoir expliqué qu'elle ne rendrait plus public le détail des décès, département par département, elle a finalement repris ce sinistre décompte depuis hier, jeudi 24. Le dernier bilan fait donc état de 133 décès sur l'ensemble de la région (+29 par rapport à la veille), dont 18 pour le département de la Drôme. L'ARS avertit toutefois que ce chiffre aussi est à relativiser, car il ne prend pas en compte les décès survenus en Ehpad. Elle prévoit de communiquer prochainement ces données.
L'HÔPITAL DE CREST SE PRÉPARE AU "PIC"
Quoi qu'il en soit, le nombre de patients pris en charge dans les hôpitaux de la région augmente sensiblement, jour après jour. Selon l'ensemble des personnels hospitaliers contactés par le Crestois, le pic de l'épidémie devrait être atteint dans notre secteur en fin de semaine ou en début de semaine prochaine. En attendant ce moment fatidique, les structures hospitalières se mettent en ordre de bataille, avec les moyens souvent limités dont elles disposent.
À l'hôpital de Crest, un « secteur Covid » a été aménagé dans les espaces habituellement réservés à la médecine, et dispose aujourd'hui de 13 lits. Mercredi 25 mars, Olivier Moulinet, le directeur délégué de l'établissement, précisait que ce secteur accueillait déjà quelques patients, mais disposait encore de lits vacants. L'ARS n'a pas souhaité communiquer le nombre exact de "patients Covid" pris en charge à Crest.
Côté fréquentation du service d'urgence, Olivier Moulinet indique qu'à ce stade de l'épidémie, « on n'est pas submergé, on reste à Crest dans des volumes faibles ». Un constat que dresse également Didier Amadeï, le directeur du SDIS 26 (Service départemental d'incendie et de secours) : « Nous faisons entre 15 et 20 interventions Covid sur l'ensemble du département, et il n'y a pas de tendance particulière sur le secteur de Crest pour le moment, mais cela peut changer. »
Quant au profil des patients Covid hospitalisés à Crest, il s'agit principalement « de personnes relativement âgées, présentant des symptômes classiques, à savoir des problèmes respiratoires, de la toux et de la fièvre », explique le directeur de l'hôpital. Le centre hospitalier de Crest n'est, pour l'heure, pas équipé pour « prendre en charge des patients nécessitant des soins de réanimation », poursuit Olivier Moulinet. Les patients qui nécessitent de tels traitements sont donc systématiquement envoyés vers le centre hospitalier de Valence. Impossible à ce jour de savoir combien de patients hospitalisés à Crest ont dû être transférés vers l'hôpital valentinois.
SITUATION TENDUE À VALENCE
Dans le principal hôpital du département, la situation semble plus tendue que dans notre vallée. Mardi 24 mars, 49 patients Covid avérés ou suspects étaient hospitalisés à Valence (15 de plus que la veille). Parmi eux, 11 étaient placés en réanimation, selon Karim Chkeri, secrétaire de la CGT à l'hôpital. Au total, le centre hospitalier valentinois dispose d'une « quarantaine de lits de réanimation et de soins continus », comme le précisait Patrick Méchain, le directeur adjoint de l'hôpital, à nos confrères de Drôme Hebdo - Peuple Libre.
Mais l'arrivée imminente du pic de l'épidémie inquiète le délégué CGT : « La situation commence à être catastrophique, car en plus des patients Covid, on continue d'accueillir les cas habituels ». Karim Chkeri rappelle en outre que c'est un hôpital en crise depuis des mois qui doit aujourd'hui affronter un afflux considérable de patients : « Nous manquons de médecins urgentistes, de lits, de matériel médical, et je crains que nous ne disposions pas de suffisamment de respirateurs lors du pic », s'alarme-t-il. « Nous avons déjà eu des décès de patients Covid, et ça va continuer », poursuit Karim Chkeri, qui assure que si la Drôme est confrontée à une situation similaire à celle du Haut-Rhin ou de l'Île-de-France, « il faudra faire des choix : qui on choisit de soigner et qui on ne soigne pas ». Sollicitée, la direction du centre hospitalier de Valence a décliné notre demande d'entretien.
L'HÔPITAL DE MONTÉLIMAR « EN ORDRE DE BATAILLE »
Au centre hospitalier de Montélimar, le nombre de cas est également en augmentation constante, avec environ cinq patients Covid supplémentaires chaque jour, selon la direction. Mercredi 25 mars, Michel Cohen, le directeur de l'établissement, précisait que 49 patients étaient hospitalisés à Montélimar (29 cas Covid avérés et 20 cas suspects). Parmi eux, 14 étaient en réanimation. L'hôpital aurait enregistré à cette date « deux ou trois décès depuis le début de l'épidémie », selon Michel Cohen. « La situation reste sous contrôle, toute notre activité est tournée vers la prise en charge de patients Covid, mais nous devons toujours faire face à nos obligations de centre hospitalier : d'autres consultations doivent avoir lieu, notamment aux urgences et en cancérologie », précise Michel Cohen.
En ce qui concerne la réanimation, l'hôpital de Montélimar dispose de 23 lits, et peut potentiellement « monter à 28 lits » en cas de besoin. S'il devenait nécessaire d'augmenter les effectifs, le centre hospitalier envisage de mobiliser les professionnels récemment retraités, et en dernier recours, les étudiants des professions médicales et paramédicales. « On est en ordre de bataille pour anticiper au mieux le pic à venir, assure encore Michel Cohen. Aujourd'hui, nous sommes au clignotant orange et nous faisons face. Après le Haut-Rhin, c'est maintenant Reims qui est en difficulté, la "chose" descend, nous sommes en attente. »
LES EHPAD, OBJET DE TOUTES LES ATTENTIONS
Autre point d'inquiétude pour les hôpitaux de la région : la situation des Ehpad. À Crest, « aucun cas n'est à ce jour recensé dans les Ehpad », assurait Olivier Moulinet mercredi 25 mars. Les quelques cas suspects « ont été testés et se sont avérés négatifs », précise le directeur de l'hôpital. Il se félicite par ailleurs d'avoir pris très tôt des mesures de restriction des visites. « Il n'y a plus de visite, les résidents ne sortent pas, il n'y a que les professionnels qui interviennent dans les établissements, avec port du masque obligatoire. On a pris toutes les précautions qu'il fallait », estime Olivier Moulinet. L'Ehpad, « c'est notre point d'attention, c'est là où on est le plus vigilant », ajoute-t-il.
Un agent hospitalier exerçant sur le site Sainte-Marie, au pied de la Tour de Crest, salue l'organisation mise en place par la direction, mais n'en demeure pas moins inquiet pour sa santé et celle des 120 résidents : « C'est bien géré, la direction essaie d'anticiper le plus possible, mais le problème, c'est qu'on n'est pas outillé, les masques sont distribués au compte-goutte, les filles de l'accueil de jour nous ont même fabriqué en urgence des masques en tissus... On est limité à un masque par jour, alors qu'on devrait le changer toutes les quatre heures », s'inquiète l'agent hospitalier, qui a souhaité conserver son anonymat.
Dans les Ehpad aussi, « la question des stocks et de l'approvisionnement en matériel médical nous dépasse », relate le directeur de l'hôpital de Crest. Il s'est résolu à lancer un appel aux dons pour pallier au manque de masques de protection. Avec l'idée de tout faire pour éviter que le virus ne pénètre dans ces établissements, où il pourrait faire, comme ailleurs en France, des ravages.
Car si un résident avait le malheur de contracter le Covid-19, il n'aurait aucune chance d'être évacué vers les services d'urgence ou de réanimation de la région. « En temps normal, on ne fait pas ou très peu de réanimation pour les personnes âgées, précise Olivier Moulinet. Or, nous sommes en pénurie de réanimation, on ne va pas faire d'acharnement thérapeutique sur les patients d'Ehpad, notamment parce qu'ils seront mieux soignés directement dans leur établissement. » Un choix qui a d'ores et déjà été annoncé aux familles.
Martin Chouraqui