Les actus à découvrir dans le journal de la Vallée

                

L’historique du Crestois de 1900 à nos jours

Voici l’historique du Crestois écrit par Claude Bourde, mon père. Il retrace en «quelques lignes» l’histoire du journal, de sa création en mai 1900 jusqu’à l’année 2004, date à laquelle le texte ci-dessous a été écrit. Je le laisse vous raconter ces 104 premières années. Je vous retrouve à la fin pour la dernière partie de cet historique, de 2004 à nos jours. Jean-Baptiste Bourde

L’histoire du journal commence avec le début de l’autre siècle, en mai 1900. Celui qui va en écrire les premières pages est mon arrière-grand père, Joseph «Salem» Bruyère. Ce fondateur du Crestois n’est alors ni imprimeur ni journaliste de métier mais liquoriste.

La raison pour laquelle il va créer ce journal tient essentiellement à son engagement politique et idéologique. C’est un ardent défenseur des positions catholiques à cette époque conflictuelle de la séparation de l’Église et de l’État, de la création de l’école publique «laïque». Militant et polémique, inutile de dire que son ton, comme ses idées, sont fermes et sans grandes nuances. Difficile de se reconnaître aujourd’hui dans ses professions de foi souvent antisémites, anti-franc-maçonnes et tout juste conciliantes envers les protestants. Anti-Dreyfusard, forcément, mais républicain aussi, à condition que cette République ne touche pas aux valeurs catholiques...

Les premières années, si Joseph Salem Bruyère écrit et anime déjà (avec vigueur) la rédaction du journal, il n’apparaît pourtant pas comme le signataire ou gérant officiel. Cette responsabilité est assurée par M. Chambon, puis M. Galland, directeur de l’Imprimerie privadoise qui assurait, avec Le Crestois, l’impression des «Journaux Républicains Libéraux » de la Drôme et de l’Ardèche. Le fondateur du journal n’avait, dès les débuts, probablement pas réuni assez de fonds pour pouvoir assurer la responsabilité pleine et entière du journal. Il a dû s’y employer activement puisque c’est à partir du 21 février 1903 que l’on voit apparaître sa signature comme responsable du journal.

Sans doute les débuts de ce titre n’ont pas été faciles. Il s’en fait d’ailleurs l’écho à plusieurs reprises, évoquant les difficultés matérielles : «Si nous avions été animés par un esprit de lucre, notre journal aurait vécu ce que vivent les roses». Aux tout débuts du journal, selon les témoignages familiaux, l’imprimerie en tant qu’unité de production autonome, dotée du matériel nécessaire n’existait donc pas. La rédaction se faisait... dans les greniers, seule partie libre de la maison à l’époque. Une partie de la composition a dû commencer à partager la place, à côté des alambics et des fûts de la distillerie.

Joseph Salem bruyere 1
Joseph "Salem" Bruyère et sa fille.

ALCOOLS ET TYPOGRAPHIE...

Mais ces débuts, malgré de vraisemblables difficultés financières et une installation progressive, n’empêchent pas le journal de passer les premières années du XXe siècle. Il affiche une pugnacité sans concession, ne manque pas de dénoncer les erreurs du gouvernement, ou des élus qui le soutiennent dans la région. Il s’élève avec force contre la fermeture des écoles catholiques, l’expulsion et le jugement des Pères Capucins de Crest (qui constituera un véritable feuilleton dans les années 1903 à 1905).

UNE FILLE À MARIER

Le Crestois a réussi à faire sa place, il faut le pérenniser. Pour cela J.S. Bruyère, approchant la soixantaine, doit trouver un successeur digne de confiance ; l’idéal serait qu’il entre dans la famille puisqu’il a aussi une fille à marier. Dans la logique des réseaux de connaissances de la bourgeoisie catholique de l’époque, c’est par l’intermédiaire d’un religieux de la famille que J.S. Bruyère entre en contact avec un jeune sous-directeur des Charbonnages Streichenberger, Claude Pluvy, originaire de Larajasse (Rhône), issu d’une famille d’autant plus modeste que son père est mort jeune. Mais c’est un homme de bonne éducation... Ce qui voulait dire d’un bon niveau d’études. Il était même érudit et, dans d’autres conditions, aurait sans doute pu poursuivre assez loin, mais aussi -et surtout pour J.S. Bruyère- issu d’une famille très catholique (deux de ses soeurs devinrent religieuses).

Claude Pluvy, son futur gendre, mon grand père, épouse sa fille, Marthe-Marie Bruyère en 1911. Et prend la relève dès 1913. Il assure alors jusqu’à la guerre la direction du Crestois avec celle de l’imprimerie qui, quelques années après sa création, fut installée dans la maison familiale pour permettre la réalisation du journal en interne.

Claude et Marthe-Marie ont un premier enfant, ma mère, Claudette, qui naît en 1914. Le départ de Claude Pluvy pour la guerre de 14-18 et sa captivité jusqu’à la fin de celle-ci, amènent le fondateur, et sa fille, à assurer la poursuite du journal jusqu’à son retour. C’est donc à partir de 1919 que Claude Pluvy prendra définitivement la direction.

crestois 1914Il commence à lui donner un autre ton, très catholique toujours, mais plus large d’esprit et beaucoup plus social. Très inscrit dans le courant exprimé par «Le Sillon» ou «les Chroniques Sociales», ce catholicisme social très fécond dans l’entre-deux guerres, souhaite se rapprocher des préoccupations du terrain et des difficultés du peuple. Catholique convaincu, il publie aussi assez souvent les messages les plus sociaux des textes pontificaux. Et bien sûr, ses écrits feront le lien entre les idées nationales ou pontificales et la réalité locale. Selon cette même tradition papale, il est clairement opposé au «bolchevisme » du début du siècle, que l’on appelle ensuite, de façon plus contemporaine, le communisme, et il dénonce, dès les années 30, les méfaits de ce système.

Mais il est aussi très dur pour cet autre système, libéral celui-là, qui par ses excès et son manque d’attention aux plus défavorisés, suscite lui-même ses «révoltés» en ne répondant pas aux exigences du message chrétien.

Son ouverture d’esprit, sa curiosité pour la lecture de la presse et (il est membre du Radio Club de Crest) l’écoute des radios internationales, alliées à la connaissance de plusieurs langues anciennes et vivantes, (dont l’allemand qui lui permet de comprendre les harangues radiodiffusées d’un certain Hitler) lui font prendre conscience et évoquer très tôt le péril montant du national socialiste.

Cette attention portée au monde à travers ses lectures, au-delà des articles ou extraits les plus instructifs qu’il reprend, donnent au journal un fond et une personnalité reconnus, même par ses adversaires politiques. Car Claude Pluvy n’hésite pas à s’engager, même si ses propos n’ont plus le côté partisan, voire sectaire, ni la verve polémique de son beau-père. Il renvoie ainsi dos-à-dos communisme et fascisme. Il condamne l’extrême droite des «Ligues». Il se méfie de ceux qui, dans les partis de droite, trop enclins à représenter les intérêts d’une bourgeoisie dominante, refusent de voir les problèmes sociaux qu’elle engendre. Mais il critique aussi les partis socialistes ou radicaux, trop proche du communisme pour l’un, trop manoeuvrier pour l’autre, dont les solutions ne lui paraissent pas viables.

Claude Pluvy 1
Claude et Marthe-Marie Pluvy

UN COMPORTEMENT « D’HONNÊTE HOMME »

Durant la Seconde Guerre mondiale, sous le régime de Vichy et l’occupation, Le Crestois va continuer de paraître. Comment va-t-il poursuivre sa publication dans cette période troublée et malgré tout garder son titre à la Libération? Comment, de plus, Claude Pluvy va-t-il figurer au sein du premier conseil municipal institué alors ? Les souvenirs familiaux ne nous ont pas appris grand chose sur ce paradoxe, si ce n’est que les nécessités de faire vivre sa famille supposaient, malgré toutes les difficultés, que la parution continuât. Sa droiture d’esprit lui fit toujours rejeter une collaboration autre qu’obligée avec un occupant dont il dénonçait, bien avant la guerre, les idées et les méthodes. Il y eut bien sûr les écrits «fournis» sans grande possibilité de refus par les autorités de Vichy. Mais il eut aussi des textes qui, malgré la censure, et sous les mots admis de la foi catholique, appelaient, à défaut d’une impubliable résistance, à une prise de conscience de la solidarité nécessaire.

Il y eut aussi, je le crois à travers quelques propos transmis par ma mère, un comportement discret et courageux «d’honnête homme»... Tout cela expliquant sans doute que les juges de l’après-guerre non seulement ne lui aient pas interdit de poursuivre ce journal sous son titre, mais encore l’aient associé à la nouvelle équipe municipale. Au-delà de la reconnaissance de qualités personnelles, ce choix tenait sûrement à une volonté de rassemblement des diverses composantes «politiquement acceptables», car les représentants de la bourgeoisie catholique n’étaient pas si nombreux à avoir gardé leurs distances avec le régime de Vichy.

LES EFFORTS SERVENT À BOUCHER LES TROUS

Les dernières années du Crestois avec Claude Pluvy sont aussi celles où l’activité de l’entreprise, comme beaucoup au lendemain de la guerre, s’avère dure à relancer. Le matériel est usé, Claude Pluvy, frappé par la maladie, meurt le 17 janvier 1950, le jour de ma naissance, dans le même hôpital, sans savoir que ce petit-fils se trouvera amené à poursuivre sa tâche. Mais avant, le journal et l’entreprise connaîtront une vingtaine d’années difficiles.

Sa veuve, Marthe Pluvy, poursuivra l’oeuvre de son père et de son mari. Elle aussi commence à être âgée. La volonté de rester fidèle à la mémoire de son mari et d’assurer seule la mission l’emmènent sans doute à poursuivre un peu trop longtemps dans cette voie. Elle se résoudra, en 1964, a organiser sa succession entre ses deux filles, Christiane et Claudette. Claudette qui, avec son mari Michel Bourde, allait reprendre la gestion de l’entreprise.

Mais ces années passées n’auront pas arrangé la situation. Financièrement elle est toujours mauvaise, les ventes du journal se situent autour de 500 exemplaires et il n’est pas envisageable de renouveler tout de suite un matériel qui en a grand besoin. Commenceront alors pour mes parents, Claudette et Michel Bourde, de longues années de «galère ». Les efforts faits servent à boucher les trous.

crestois 1966Et pourtant, le travail de Claudette et Michel Bourde porte ses fruits. Les informations locales augmentent peu à peu grâce aux contacts qu’ils savent prendre à Crest et dans les communes alentour. Les ventes du journal remontent à plus de 1700 dès les années 70. Mais ce n’est que plus tard que cela commencera à se sentir sur l’équilibre des finances.

Que l’on m’excuse d’évoquer avec un peu plus de détails cette période de l’histoire du journal, mais je crois que, dans cet historique, c’est la moindre des reconnaissances que je leur dois et qu’on leur doit. Je ne pourrais oublier les heures difficiles qu’ils ont passées toutes ces années. Les nuits blanches pour «les veilles de journal» arc-boutés entre le clavier et la corbeille des typographes ou penchés sur les marbres pour y déposer les galées de colonnes en plomb que l’on allait ajuster et serrer dans les chassis. Le tirage, harassant, vers les 4 ou 5 heures du matin sur la vieille presse qui faisait vibrer le sol. Pour finir au point du jour par une séance de pliage manuel «contre la montre» afin d’arriver à une livraison à la poste dans la limite des délais, suivie d’une tournée des dépôts à vélo (car ni l’un ni l’autre ne conduisant, jusqu’à ce que je passe le permis, ce fut leur seule solution).

J’oublierai encore moins l’angoisse et les humiliations répétées des «fins de mois» que supposaient les entrevue régulières avec des banquiers, logiquement lassés de cette quasi permanente position des comptes «dans le rouge». L’aide apportée par deux prêts successifs grâce à la compréhension d’un notaire plein de sagesse, Me Béranger à Aouste, permit de passer le cap d’année en année sans fermer l’entreprise.

Un autre remerciement ira aussi à un banquier qui a joué son vrai rôle : aider en prenant des risques, réfléchis, mais réels. M. Dugas, chef d’agence du Crédit Lyonnais à Crest, qui a offert alors à mes parents une solution de continuité que la BNP leur refusait. Sans lui, il n’y aurait sans doute plus ni journal ni imprimerie. La résorption de ce découvert bancaire et des annuités de prêts absorbèrent tant de leur énergie que je me demande toujours comment ils ont tenu si longtemps en ne voyant jamais le fruit de leurs efforts.

Les congés et fins de semaine étaient aussi l’occasion pour moi de les aider, pas assez sans doute me semble-t-il aujourd’hui. C’est aussi pourquoi en 1971, ma licence de sociologie en poche, la phlébite de mon père m’ayant amené à venir travailler régulièrement avec eux, je décidai de mettre de côté les projets d’école de journalisme, sachant très bien qu’ils ne se réaliseraient qu’au détriment de l’entreprise familiale. À près de 60 ans l‘un et l’autre, mes parents étaient usés par ces années de travail et de soucis et je les voyais mal continuer seuls deux ou trois années de plus.

Et pourtant, leur travail de Sisyphe avait presque pris fin. Mieux que le rocher mythique, le journal remontait la pente sans retomber. Certes la santé de l’entreprise était encore très limite, mais mon arrivée comme travailleur polyvalent jeune et motivé, pas trop exigeant en salaire puisque célibataire nourri et logé, allait donner le coup de pouce qui manquait en même temps que cela leur permettait, enfin, de souffler un peu.

Après l’amélioration du contenu rédactionnel du journal, le second chantier qui s’imposait de manière urgente était de doter l’imprimerie d’un matériel plus adapté. Ce fut alors l’époque du grand pari : s’équiper à la fois d’une presse offset grand format pour imprimer le journal et d’un système de photocomposition moderne pour remplacer les machines à écrire «améliorées » qui complétaient déjà le travail des linotypes. Un pari, car cet investissement de près de 400.000 F en 1984 représentait la moitié du chiffre d’affaires de l’année d’avant. Avec des fonds propres encore négatifs, difficile d’aller plaider le dossier auprès des banques. La bonne solution existant à l’époque pour les grands projets des petites entreprises, celle du «prêt participatif simplifié», n’était pas gagnée d’avance. Ici, mes remerciements vont à mon beau-frère Patrick, dont la compétence et le suivi en la matière ont permis de monter le dossier et de le voir validé (alors que comptable et organismes conseil nous donnaient peu de chances).

La réussite de cette opération pariait sur un développement rapide du journal et de l’imprimerie, visant à doubler le chiffre d’affaires et la rentabilité en moins de quatre ans. Pour cela, Le Crestois (alors composé de quatre personnes plus mon père près de la retraite) devait renforcer son équipe d’un comptable et d’un commercial ce qui me permettait de me concentrer (en plus de la rédaction du journal) sur la mise en place de ces nouveaux matériels et techniques.

Ainsi, dès 1984 arrivait- on à une diffusion de 3800 exemplaires qui allait continuer à progresser. D’autres étapes techniques allaient être franchies. En 1987, l’introduction de la PAO (Publication Assistée par Ordinateur) et des premiers «Mac» équipés de logiciels de mise en page. À l’époque, les imprimeurs, à peine remis du passage du plomb à la photocomposition, n’y croyaient guère. Mais l’avenir s’ouvrait pour ces «ordis» de bureau, moins chers et bien plus souples que les gros systèmes. Ils allaient offrir au journal comme à l’imprimerie une facilité et une rapidité appréciable.

ABRITER LA NOUVELLE PRESSE OFFSET

En 1992, ce fut l’agrandissement, sur les derniers mètres carrés de terrain disponibles derrière l’imprimerie. Il fallait abriter la nouvelle presse offset, une Roland Rekord. Elle permettait au journal d’agrandir son format, passant en septembre 1992 à celui qu’il connaît encore aujourd’hui.

Pour conclure avec les dernières évolutions de l’imprimerie et du Journal, un autre grand pas fut franchi en 1998, avec l’installation de la premiére presse 4 couleurs (dans l’imprimerie comme dans la région). Une GTO4 à commande par pupitre électronique. Nouveau pari, car une telle machine, même d’occasion, représentait encore un investissement d’un million et demi de francs. C’était aussi la seule façon de donner à l’entreprise les moyens de continuer à développer son marché en luttant contre des prix de plus en plus bas. Elle permettait enfin au journal de proposer ses premiers encarts en couleur avec toute la souplesse nécessaire dans les délais.

Le temps de constituer quelques réserves de trésorerie et, en 2003, pouvait être lancé le dernier pari : un nouvel investissement de plus de 3MiF. (500000€). Il permettait de se doter de la première presse offset neuve, une Komori robotisée, 2 couleurs à retiration, pouvant assurer l’impression de 4 pages du journal ou de doubles pages couleur avec rapidité et facilité d’exécution. Avec elle, l’installation d’une assembleuse automatique grand format qui, jusqu’à une capacité de 28 pages, simplifie aussi beaucoup le pliage et l’assemblage du journal.

Enfin, le troisième volet de cet investissement est lié aux «NTIC» comme on dit, nouvelles technologies de communication informatique : messagerie électronique, photo numérique et création du site internet. En réflexion depuis quelques années au sein de l’équipe du Crestois, ce site se devait d’être plus qu’une simple vitrine. Il doit apporter au journal une complémentarité active, vivante, prolongeant, avec la rapidité et la spécificité des outils électroniques, son rôle de forum et de point information au service des habitants de la région. Il doit permettre aussi, côté archives, une consultation des images ou documents sur toute la richesse de cette vie locale. Enfin, il doit être un moyen de mise en réseau le plus simple et utile possible pour aider à l’information et à la réflexion de tous.

Avec le temps et l’évolution des modes de lecture, ce «couple» site internet-journal papier connaîtra sans doute d’autres transformations. L’important est que vous puissiez disposer des deux outils pour être ainsi un citoyen informé, responsable et acteur de son avenir.

Le travail du journaliste, plus que jamais à l’heure d’internet, est essentiel pour aider le lecteur à s’y retrouver au milieu d’un flot assez incohérent d’informations dans lequel il est de plus en plus difficile de faire le tri.

Claude Bourde


Cet historique a été rédigé au printemps 2004. À l’époque la nouvelle maquette du Crestois venait d’être lancée ainsi que notre site internet. Mais Claude ne comptait pas s’arrêter là, il pensait déjà à la prochaine étape mais pour cela il fallait «pousser les murs». L’opportunité de racheter l’appartement dans l’immeuble voisin se présentant en 2006, toute la PAO fut déplacée dans la foulée. Ce gain de place providentiel permit à l’imprimerie de s’équiper, en mars 2008, d’une Heidelberg SM74, offset 4 couleurs, en remplacement de la Komori. Une belle machine de 320 000 euros HT qui continue à imprimer le journal chaque semaine.

Un CTP (Computer To Plate) compléta cet investissement deux mois plus tard. Ce système permet la gravure de plaques offset supprimant ainsi l’ancien procédé de développement qui obligeait l’utilisation de produits chimiques. Ce CTP, fut la dernière machine que mon père acheta. Nous avons discuté ensemble de l’acquisition des suivantes mais il ne les a jamais vues installées dans l’atelier. J’ai seulement pu lui montrer notre nouvelle assembleuse en fonctionnement sur l’écran de mon petit appareil photo, trois jours avant qu’il ne parte. J’étais si fier de lui faire voir que l’installation s’était bien passée et qu’il pouvait compter sur moi... J’étais à mille lieux de penser qu’il ne rentrerait pas à la maison.

claude jb bourde
Claude Bourde et son fils, Jean-Baptiste.

Depuis ce vendredi 27 novembre 2009, je reste seul aux commandes. Les décisions pour l’année 2010 prises, en cours ou à venir ont été faites sans mon père mais je crois qu’il aurait été d’accord. Tout d’abord, les dernières machines ont été achetées, un dos carré collé pour la fabrication de tous les livres que nous imprimons, complété par un nouveau traceur grand format, tout support qui nous permet l’impression de bâches et d’affiches. Tout ceci afin de diversifier notre offre de produits et de pouvoir répondre à de nouveaux marchés.

L’étape suivante était de s’occuper du journal. La maquette de 2003 avait un peu vécu. Le mois d’avril 2010 vit l’apparition de notre nouvelle maquette, toute en couleur.

Toutes ces évolutions techniques n’auraient pas pu être envisageables sans les femmes et les hommes qui travaillent au Crestois. Depuis 2004, pas moins de dix nouvelles personnes ont rejoint les rangs, portant l’effectif de la société à presque 20 personnes. L’année 2010 fut l’apogée de l’entreprise...

TRANSFORMER LE CRESTOIS EN BIEN COMMUN

La décennie qui a suivi a été ponctuée de crises et l’entreprise a été durement impactée. L’incertitude économique couplée à la concurrence féroce des imprimeries en ligne ne m’ont laissé aucun répit. Pendant plus de dix ans, je n’ai pas pu faire «au mieux» pour l’entreprise mais «au moins pire».

Je ne sais pas comment mon père aurait navigué dans cet épais brouillard. En 2008, tu devais déjà te douter que les années à venir risquaient d’être très délicates et c’est peut-être ce qui t’a rendu malade.

Dans l’adversité, j’ai essayé de tenir bon. Je n’ai pas compté mes efforts pour adapter l’entreprise à son nouvel environnement mais sans succès. Les efforts considérables réalisés n’ont pas suffi. En un peu plus de dix ans, l’entreprise est passée de 20 salariés et 1 100 000 euros de chiffre d’affaires à 9 salariés et 500 000 euros de CA. Ce fut un travail colossal pour mes compagnons d’infortune et moi-même. Colossal mais insuffisant, la concurence étant trop rude.

2023 06 09Après toutes ces années de galère, j’ai dû me contraindre, la mort dans l’âme, a accepter que je sois la dernière génération à diriger l’entreprise familiale. L’avenir de l’imprimerie étant scellé, il fallait inventer un avenir désirable pour le journal. L’idée d’une reprise en Scop par les journalistes a peu à peu émergé et la possibilité de transformer Le Crestois en bien commun de la vallée m’a séduit. Après de nombreuses discussions et de réunions publiques, le projet s’est dessiné.

Il ne me reste plus qu’à accepter de laisser le journal vivre une nouvelle vie, sans moi et lancer la procédure de redressement judiciaire au Tribunal de commerce de Romans, en espérant que celui-ci accueille favorablement le projet de reprise.

Être la génération qui doit «éteindre la lumière» n’est pas simple mais je pense, papa, que ce projet t’aurait séduit. On en reparlera là-haut.

Jean-Baptiste Bourde

Article publié dans Le Crestois du 9 juin 2023

À lire également :