Le Grânois Fabien Rhodain, scénariste de BD prolifique et engagé

Après Les Seigneurs de la terre et Biodynamie, Fabien Rhodain continue d’interroger en bande dessinée les thématiques environnementales, agricoles et sociales avec Les Damnés de l’or brun et Whisky-san.

Fabien Rhodain a eu une autre vie avant celle de scénariste de bande dessinée (BD). Dans sa belle maison en pierre, sise au centre-bourg de Grâne, autour d’un thé et près de son chien Nougat, il se remémore sa première carrière d’informaticien. Son dernier job salarié : directeur informatique de la grande coopérative agricole du sud est de la France, à l’époque la Dauphinoise, basée à Vienne. Une expérience qui inspirera sa première BD sortie en 2016, les Seigneurs de la terre, une histoire en six tomes d’un changement de carrière et d’un retour à la terre pour un jeune avocat lyonnais, fils d’un ponte de la Dauphinoise.

Installé avec femme et enfants à Grâne depuis 2018, Fabien Rhodain s’est donc lancé dans le monde tortueux de la bande dessinée en 2014, tout en développant une activité d’accompagnement à l’intelligence collective et au codéveloppement : en bref, faire en sorte qu’un groupe fonctionne bien. « Je trouve mon équilibre entre ces deux activités, sachant que l’écriture monte en puissance. » En effet, après les six tomes des Seigneurs de la terre (Éditions Glénat, mis en images par Luca Malisan et vendus entre 50 et 60 0000 exemplaires !), un diptyque sur le vin bio et la biodynamie sobrement intitulé Biodynamie (Glénat également), l’auteur vient de sortir coup sur coup deux ouvrages, co-écrits avec le scénariste Didier Alcante – « Pas n’importe qui, souligne le Grânois, c’est l’auteur de la Bombe, bestseller de l’année Covid ».

Le deuxième tome des Damnés de l’or brun, saga familiale autour de l’exploitation du cacao et des esclaves nécessaires à sa production, qui débute en 1822, est sorti le 10 janvier dernier — le dernier tome devrait sortir au début de l’année 2025. Et tout récemment, le 28 février est sorti sa dernière création, cette fois aux éditions Grand angle, mais toujours avec Didier Alcante : Whisky-san.

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DU CACAO AU WHISKY JAPONAIS

Dans cette BD, il retrace l’histoire invraisemblable – et plutôt mal embarquée au pays du saké – des créateurs des deux maisons principales de whisky japonais, Masataka Taketsuru (Nikka) et Shinjiro Torii (Suntory). Comme souvent, l’inspiration est venue d’une rencontre (ou d’un hasard), avec un représentant de l’une des deux maisons lors d’une dégustation il y a une dizaine d’années en Belgique. Il n’est pas spécialement fan du breuvage, mais tout de suite « les images défilent dans ma tête ». Des images finalement conçues par la dessinatrice Alicia Grande, au coup de crayon moderne, parfois à la frontière du manga. « Aucune BD sur le sujet n’avait été faite. Incroyable ! J’ai remercié le ciel », raconte-t-il.

Pour se documenter, celui qui ne prend jamais l’avion par choix éthique, s’appuie sur une « madame saké » franco-japonaise, Adrienne, dont le métier est d’introduire le saké en France : « Elle m’a proposé de recueillir et de traduire des informations et des anecdotes, de véritables bouts d’histoire introuvables sur le web », explique-t-il. « Cette histoire humaine est passionnante, la dramaturgie… Il n’y a pas besoin d’apprécier le whisky pour s’en rendre compte », poursuit-il.

L’origine des Damnés de l’or brun lui vient également de deux rencontres, plus locales, avec les chocolatiers Bernard Xueref (fondateur de la Frigoulette à Beaufort-sur-Gervanne) et Astrid Rosse (gérante de Façon chocolat à Crest), doublée d’un visionnage d’un reportage d’Envoyé spécial sur l’exploitation du cacao en Côte d’Ivoire. « Je suis malheureusement arrivé au constat que quand on croque dans un morceau de chocolat, il y a neuf chances sur dix qu’il y ait des esclaves derrière si on n’a pas fait un peu attention », regrette-t-il. Le point commun de cette BD avec Les seigneurs de la terre, « c’est le combat sociétal », annonce-t-il. Il montre en effet quelle place est laissée au premier maillon de la chaîne, « et dans le cacao, c’est dramatique, assure-t-il. J’ai voulu le faire en reliant l’histoire du produit à son triste cousinage avec l’esclavage ». Avec des résonances contemporaines malheureusement manifestes. Le tout en mêlant sur un rythme haletant histoire, fiction et saga familiale entre le Brésil, l’Europe et l’Afrique. D’ailleurs, ce tropisme pour la saga à travers l’histoire lui vient de son premier coup de coeur BD d’adultes : Les maîtres de l’orge, série de tomes dessinés par Vallès qui, tiens tiens, est aussi le dessinateur des Damnés de l’or brun.

EFFONDREMENTS

Comme pour les Seigneurs de la terre, le scénariste, très engagé sur le plan environnemental et social, Fabien Rhodain « aime bien montrer qu’on peut faire autrement, et dire qu’autre chose est possible. En tant que ‘‘consomm’acteurs’’, on est responsables de nos choix. De quelle société a-t-on envie, qui veut-on rémunérer ? Je pense qu’on vote davantage avec sa carte bleue qu’avec sa carte d’électeur ». Alors que le fil de l’agriculture n’est jamais très loin dans son travail, Fabien Rodhain porte un regard atterré sur la crise agricole actuelle : « La mainmise de l’agro-industrie dans ce domaine est désespérante. Tout cela n’évolue que très peu… Et puis je trouve que l’agriculture est soumise à une manipulation politique absolument terrible : l’opposition entre lutte environnementale et agriculture. C’est bêtement de la politique politicienne de bas étage, abjecte. C’est toujours pareil : diviser pour mieux régner. Quand on voit ça, il y a de quoi se demander ce qu’il faudrait pour faire changer les choses. »

LA BIOVALLÉE BIENTÔT EN BD

C’est en s’arrêtant de temps à autre dans la vallée que Fabien Rhodain et sa femme ont décidé de poser leurs valises dans la vallée. « Il y a un peu plus, voire beaucoup plus de choses qui fonctionnent ici qu’ailleurs. Nous avons par exemple la possibilité très concrète de nous alimenter en achetant directement auprès des producteurs. Et l’écosystème me semble plus résilient. Je le croyais et maintenant je le vis ! Ce territoire montre la voie même si tout n’est pas toujours parfait. Pendant le Covid, beaucoup de choses se sont organisées rapidement, comme une mini répétition de ce qui arrivera à un moment donné à une échelle plus importante. » Fabien Rhodain fait ici référence à la théorie de l’effondrement, popularisée par son « pote », l’essayiste drômois Pablo Servigne. « Je pense plutôt à des effondrements, détaille-t-il. Je ne crois pas forcément à un truc qui va se casser la gueule d’un coup. Parce que le plus triste, c’est que nous sommes déjà en train d’assister à des effondrements : quand 65 % des espèces ont disparu, si ce n’est pas un effondrement, il faut m’expliquer ce que c’est ! »

Maintenant, et en lien avec la sociologie de la vallée, il met en avant « l’entraide ». « Il y a quelque chose de tout à fait spécial autour de l’humain ici, une solidarité et une grande liberté dans ses choix de vie. Et si on parle d’effondrements, le premier des outils, c’est l’entraide. Quitte à vivre quelque chose de difficile, je préfère que ce soit ici plutôt qu’ailleurs ! », rigole-t-il.

Quid de ses projets ? Eh, bien tout d’abord s’attaquer à notre belle vallée, et plus précisément à l’histoire de la Biovallée. Mêlant encore une fois fiction et faits historiques, cet ouvrage est en cours de dessin et les premières planches seront publiées ici même, dans les colonnes du Crestois.

Autre thématique qui lui tient à cœur et qu’il compte bientôt scénariser, la démocratie : « C’est pour moi LE méta-sujet, central et fondamental. C’est une thématique qui me tient beaucoup à coeur et que je connais bien. » Du pain sur la planche…

Clément Chassot

  • Les damnés de l’or brun, trois tomes (en cours), éditions Glénat, 14,5 euros
  • Whisky-san, éditions Grand angle, 136 pages, 24,9 euros

Article publié dans Le Crestois du 1er mars 2024

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