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1629 : la peste autour de Crest #1

Un terrible fléau fait des incursions dans notre région crestoise, mais c’était aux 17e et 18e siècles.

C’est à partir du XIVème siècle, surtout avec l’épouvantable épidémie de 1347-8, que la peste arrive en Europe où, en petits foyers isolés ou en grandes épidémies, elle sévira pendant près de quatre siècles. Lorsque nos archives remontent assez loin, on en retrouve la mention. En 1586, à Beaufort, « Y a heu famine avec grande mortalité générale et notamment en ce lieu de Beaufort qui est descédé de contagion de peste environ 350 personnes ».

L’épidémie de 1629 a laissé beaucoup de traces. Dès le début de l’automne 1628, à Allex, on exige un certificat de santé à cause de la « contagion signalée au Viennois et dans le Lyonnais » tandis qu'à Aouste on ferme l'avenue du bourg et on installe des gardes aux portes pour refuser toute entrée sans billet de santé. Espenel aussi décide de fermer « la porte vieille à cause des bruits de contagion ». Au printemps suivant, alors même que le roi Louis XIII, puis son ministre Richelieu sont de passage, le fléau atteint nos régions.

Le 30 avril, Allex décide « la fermeture des brèches et des portes, sauf celle de l'église qui sera gardée par un commis ». Partout, on crée des « conseils de santé » ou on nomme des « capitaines de santé » qui sont chargés de prendre des mesures de protection et de veiller sur les suspects. Aouste, le 27 mai, désigne son curé Allemand et un autre prêtre, Avond. Le 29 juin, Vaunaveys choisit noble Gaspard de Lastic auquel elle adjoint quatre commis et cinq gardes, dont le curé Chamboissier. À Saillans, c'est Deneyrol qui remplit la fonction de capitaine. Dans les petites communes, le consul se trouve souvent chargé de ces tâches supplémentaires : à Beaufort, il commande la garde de la santé et ferme les barrières. À Chabrillan, le curé Fanget qui avait été choisi comme juge de santé n'a certainement pas bien rempli sa fonction et on le remplace par le châtelain.

Dans la ville de Crest, le conseil de santé, qui se réunit deux fois par semaine, compte 10 membres : deux consuls, deux chanoines de Saint-Sauveur, le visénéchal et son lieutenant particulier, deux avocats conseillers de la ville, et deux apothicaires. Ces organismes prennent deux types de dispositions : fermer la ville et empêcher toute entrée ou sortie, isoler les malades et les suspects.

La cité n'a pratiquement plus aucun échange avec l'extérieur, c'est pourquoi on répare les brèches des enceintes : le 27 janvier 1630, à Allex, on obture la brèche dite "porte de Félix", à Crest, on fait réparer les remparts. Partout on ferme les portes. Crest n’ouvrira que trois portes les jours de marché : la porte Neuve à l'ouest, la porte du Marché à l'est et la porte du Pont au sud. À chacune d'elles, une garde de six hommes contrôlera les certificats de santé. Ces « billets de santé », délivrés par les autorités locales, ne sont pas toujours sérieux et l'on voit les consuls de Crest recommander à leurs collègues d’Allex de n’en donner « que pour cas de nécessité reconnue ». Dans les dépenses de Bourdeaux, on trouve 12 livres pour rétribuer un garde et, plus tard, 15 livres et 18 sols versés à Flandin pour les 2 mois et 8 jours où il a servi comme « garde de la santé ».

Souvent aussi, on exige que les visiteurs subissent une quarantaine hors de la ville. Le 31 août 1629, les consuls d’Allex l’imposent au doyen du chapitre, leur co-seigneur, et lui désignent la grange Prud'homme pour l'effectuer. Ceux de Vaunaveys, le 11 juillet, invitent madame de Montoison à ne pas recevoir le gouverneur de Valence dans le château qu'elle possède sur leur territoire. Ils iront même jusqu’à ordonner de tuer les chiens susceptibles d’échapper à tous les barrages. On craint même que le courrier transporte la contagion. « Et à l’égard des paquets de lettres qui arriveraient au bureau d’adresses, lit-on dans le règlement de santé de Crest, les deux apothicaires devaient continuer à donner leurs soins pour les faire parfumer et décacheter à la forme de l'arrêt de la Cour de Crest ». Les contrevenants à ces règles sont sanctionnés. Le conseil de santé de Vaunaveys condamne à 7 livres d'amende un habitant qui est allé labourer à Crest « où le mal contagieux est notoire », à trois livres un autre qui avait conversé avec un Crestois, il fait enfermer chez elle une famille qui était allé voir des malades à Crest. Cet isolement complet pose de sérieux problèmes de ravitaillement : Crest doit réquisitionner les grains dans les abondantes provisions des plus riches habitants pour assurer des distributions aux indigents.

La deuxième disposition consiste à isoler les malades ou ceux qu’on suspecte d’être atteints. Leur état est contrôlé par un homme de l'art. Crupies verse 4 livres « pour la visite par un apothicaire d'une personne suspecte de peste ». Le chirurgien de Saillans, Nicolas Guiot, est envoyé « à Saint-Nazaire pour voir si la fille de Jean Plant est morte de la maladie contagieuse ». Les commis de Vaunaveys se voient ordonner de visiter chacun à son tour les lieux suspects. Un marché est conclu par Allex avec le chirurgien Brouard qui, pendant la contagion, recevra 100 livres par mois et le logement. Dès qu'un malade est repéré, il faut le couper du monde. Le 31 juillet 1629, à Chabrillan, une femme étrangère suspecte de contagion est envoyée dans une lutte couverte de paille et de bois. Le 16 décembre 1630, alors que la peste sévit toujours à Crest, un habitant de cette ville s'en échappe et vient « de son autorité privée dans la grange de la Boutonne, avec sa famille et son bétail ». Les édiles de Chabrillan les font surveiller par deux gardes et ne les libèrent qu'au terme de leur quarantaine. À Allex, le 22 août 1629, une famille qui a perdu un de ses membres est reléguée dans une hutte.

En octobre, les malades qu’on avait installés près de la Drôme sont transférés à Charavelle dans la terre du moulin. Défense est faite le le 20 janvier suivant, à « ceux qui sont dans les barrières suspectes d’en sortir à peine d'amende ».

Il faut pourtant bien nourrir ces gens : on leur fait porter du pain et de la viande. Un état de frais nous apprend que le blé fourni aux malades d’Allex a coûté 272 livres. Les maisons des malades ou des morts sont « parfumées », on y fait brûler de savants mélanges de soufre, encens, camphre, résine, cannelle, menthe, poivre… Deneyrol , à Saillans, expose la nécessité de faire parfumer la maison d’Imbert Allemand, à Aouste, on paie « des gages à Vincent et à Peyrache qui ont parfumé les maisons infectées ». On "parfume" aussi les vêtements, le courrier et même les personnes.

Tout malade est tenu de prévenir les autorités locales, sous peine d’amende (100 livres à Vaunaveys, ce qui représente 3 fois les gages annuels du maître d’école !). Le transfert des malades vers leur lieu d’isolement est effectué par des « galopins » – leur nom viendrait de ce qu’ils galopaient pour conduire les pestiférés – qu’on ne peut recruter que contre un bon salaire : des mandats sont votés à Chavagnac, d’Allex, « pour transports de malades aux cabanes », Bourdeaux verse 36 livres « à deux galopins pour deux mois de contagion ».

On le voit, on se contente de constater le mal et d’essayer d’empêcher sa progression, mais on n’a aucun remède à lui opposer. La peste est considérée comme une punition du Ciel contre les péchés des hommes : on ne peut donc que prier et faire pénitence, d’où les processions, les flagellations, l’invocation des saints Roch et Sébastien… qu’il est difficile de distinguer des croyances superstitieuses répandues par les charlatans abusant de la crédulité de populations paniquées. Ne voit-on pas le curé de La Roche-sur-Grâne écrire dans son registre, le 17 janvier 1630, après avoir baptisé le petit Pierre Avond : « Parce qu’il est né et baptisé le dimanche, on tient qu’il n’aura point la peste en sa vie ».

Cette épidémie aurait fait de nombreux morts dans nos régions : à Crest, durant les onze mois où elle sévit, elle entraîne la mort du tiers des habitants de la ville...
(...)

Robert Serre

Publié le 30 mars 2020.
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SOURCES

André Lacroix : Inventaire sommaire des archives communales. Allex, BB 5-6-7, GG 14. Aouste, BB 2-3, 5. Beaufort, BB 2, CC 7. Bourdeaux, CC 4. Chabrillan, BB 2. Crupies, CC 9. Espenel, BB 1, EE 3. La Roche-sur-Grâne, GG 1. Saillans, BB 9-10. Suze, BB 1. Vaunaveys, GG 4. Gaston Barnier, Bourdeaux, pays protestant et républicain, éd. Mocorep 1986, p. 97 à 101. Paule Folny, Bulletin des Amis du Vieux Crest n° 15 (déc. 1987). Narcisse Faure, Description et histoire de Chabrillan, Imp. Céas 1912, p. 52-3. André Mailhet, Histoire de la ville de Crest, Ducros 1900, rééd. A.V.C. 1982, p. 253-5. P. Hillemand et E. Gilbrin, Histoire culturelle de la maladie, Privat 1980. C. Herzlich et J. Pierret, Malades d’hier, malades d’aujourd’hui, Payot 1984. C. Bonnet, Au royaume des clystères, médecins en bonnet pointu, La Palatine 1965. Dr C. Ponsoye, Récits et figures de chez nous, Valence 1940. André Lacroix : Inventaire sommaire des archives communales. Allex, BB 5-6-7, GG 14. Aouste, BB 2-3, 5. Beaufort, BB 2, CC 7. Bourdeaux, CC 4. Chabrillan, BB 2. Crupies, CC 9. Espenel, BB 1, EE 3. La Roche-sur-Grâne, GG 1. Saillans, BB 9-10. Suze, BB 1. Vaunaveys, GG 4. Gaston Barnier, Bourdeaux, pays protestant et républicain, éd. Mocorep 1986, p. 97 à 101. Paule Folny, Bulletin des Amis du Vieux Crest n° 15 (déc. 1987). Narcisse Faure, Description et histoire de Chabrillan, Imp. Céas 1912, p. 52-3. André Mailhet, Histoire de la ville de Crest, Ducros 1900, rééd. A.V.C. 1982, p. 253-5. P. Hillemand et E. Gilbrin, Histoire culturelle de la maladie, Privat 1980. C. Herzlich et J. Pierret, Malades d’hier, malades d’aujourd’hui, Payot 1984. C. Bonnet, Au royaume des clystères, médecins en bonnet pointu, La Palatine 1965. Dr C. Ponsoye, Récits et figures de chez nous, Valence 1940.

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