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1629 : la peste autour de Crest #2

Suite de notre récit sur la peste dans la région de Crest au 18e siècle.

La première partie du récit est à lire en cliquant ici.

Le 20 juin 1720, une femme s’écroule dans les rues de Marseille. Elle est couverte de bubons. C'est la peste ! Disparu depuis un demi-siècle, le fléau revient, apporté dans les cales d'un bateau de commerce. On enregistre 300 décès par jour et les galériens ne suffisent plus à ramasser les cadavres. Dans toute la France, le mal répand la terreur et l'on prend partout des mesures draconiennes pour lui barrer la route.

Dans notre région, la dernière épidémie date de 1664. Les plus vieux se souviennent encore de ses ravages. La nouvelle est annoncée à Crest le 10 août par les consuls qui font état des « avis qu’ils ont eu qu’il y a un mal contagieux dans la ville de Marseille et autres lieux de la provence ». On ordonne aussitôt la fermeture des portes. Seules trois d'entre elles seront ouvertes dans la journée et contrôlées par des gardes. Le 26 août, le conseil décide que « les balles de layne achetées à la foire de Beaucaire », pour l'instant « arrêtées aux îles de Cruas », seront, si elles sont débloquées et avant d'être introduites dans la ville, « parfumées pendant quarante jours ».

Le 1er septembre on recherche les délibérations de 1628-29... « pour savoir ce qui s'est pratiqué au sujet de la contagion ». On fait poser « des ferrures à la porte de saint Barthélemy et une barrière à la porte du jardin de M. de Beaulieu et sous le jeu de balon ». Le 5 septembre, un conseil de santé est désigné : il comprend le prieur Boyer, noble Jean-Jacques Dupuy ou noble Joseph de Pourroy, Chaste, procureur du roi, les consuls Sibeud et Gailhardon, l'avocat Chapaix, Planel et Richard, procureurs et les apothicaires Chambert et Bayot. On les charge de rédiger un règlement. Chapaix, lieutenant au régiment d'Agenois en congé, est nommé capitaine de santé : l'année suivante, le 11 juin 1721 au moment de rejoindre son régiment, il recevra 80 livres de gratification pour ses services dont il « s’est acquitté avec beaucoup d’exactitude ».

Le 4 janvier 1721, le conseil est « confirmé par le comte de Médavy », gouverneur de la province du Dauphiné. Chacun des membres a son domaine : pendant quatre mois, l’apothicaire Chambert parfume « les lettres et paquets venant de Provence et des lieux suspects ». Il recevra 36 livres pour ce travail, à raison de 9 livres par mois. Les 16 et 18 septembre 1721, considérant que « l’aproche de la contagion doit faire prendre des mesures de précaution […] pour avoir des grains et des médicaments », on décide d’ « établir une maison de quarantaine et une maison d’infirmerie pour y recevoir les malades » dans des bâtiments que le conseil de santé est chargé de louer. Le 29, on ajoute à ces deux maisons « un magazin pour les drogues, parfums, meubles et ustensiles ».

« La ville, n’ayant pas de fonds », demande à l’Intendant de la province l’autorisation « d’emprunter jusqu’à 30 000 livres en deniers ou en denrées ». Ces dernières seront « déposées dans la maison de la Grande Escolle » et distribuées par le conseil de santé. La décision a été prise en haut lieu d’établir une « ligne de santé » entre la Provence et le Dauphiné, une file continue de gens armés empêchant tout passage d’hommes et de marchandises. Un mur y sera même construit sur plusieurs kilomètres de long.

Les communautés sont tenues de fournir des hommes et de les armer. Le 22 septembre 1721, Crest envoie « 30 hommes bien armés à Tullettes ». Ils partent le 25 pour dix jours et recevront 4 sols par jour chacun. Au total, selon un « estat des lignes » du 13 janvier 1724, « de la main de feu M. Rigaud » (Michel Rigaud, receveur des impositions en 1722), quatre contingents comprenant de 12 à 30 Crestois sont envoyés sur la ligne de dix à quinze jours et il en coûtera 1 752 livres à la communautévi.

Le 30 novembre, la ville a enfin reçu de l’Intendant l’autorisation d’emprunter, mais seulement 12 000 livres, au denier 20, c’est-à-dire avec un intérêt au taux de 5 %. Encore faut-il attendre l’autorisation du Conseil d’État qui n’arrivera qu’en avril 1722. La communauté, pour fournir 26 fusils, a dû contraindre les habitants et n’en trouve plus. Elle n’a d’ailleurs pu en envoyer que 25 : 6 ont été acceptés et 19 sont jugés « mauvais ». Le 13 février 1722, la ville est pressée de « fournir incessament le 26ème », de remplacer les 19 défectueux et d’ajouter « trois coups de poudre et trois balles pour chasque homme ». Le subdélégué quant à lui réclame « une poëre à poudre et un petit sac pour tenir les balles ».

Le conseil de santé croule sous les tâches : le procureur Richard est décédé, « la plupart des membres demandent à être remplacés ». Le maréchal de Grammont, gouverneur de la ville, est désigné pour le présider. L’année suivante, le 8 mars 1722, le comte de Montoison et M. de Montlovier, médecin, refusent à leur tour de participer au conseil de santé. Nobles et notables préfèrent se mettre à l’abri dans leur « campagne » ! Les communautés de notre région sont, elles aussi, mises en demeure de fournir des hommes pour la ligne. Auriples et Vaunaveys en envoient à Saint-Paul-Trois-Châteaux, Piégros, Beaufort, Suze, Bourdeaux à Mirabel (en Baronnies), Saillans, Bourdeaux, Piégros, Beaufort à Saint-Maurice, Aouste, « en Baronnies », Allex à Pierrelatte, Bourdeaux à Suze (la-Rousse), Eurre, « le long du Rhône »… Elles participent bien sûr aux dépenses pour les armes, la construction de baraques et de corps de garde.

Chaque communauté, en outre, s’enferme dans son enceinte et établit sa propre ligne de santé, infranchissable sans quarantaine pour entrer et sans billet de santé pour sortir. Les ordres sont stricts et les sanctions sévères : Espenel, le 14 novembre 1721, fait « défense aux habitants dans les lignes de santé d‘en sortir à peine de punition corporelle et de 300 livres d’amende ». Même disposition à Allex où l’amende atteint 500 livres. Bourdeaux interdit l’entrée des marchandises et bestiaux venant de Provence « à peine de la vie et de confiscation ». Saillans, le 8 décembre 1720, expulse « trente personnes étrangères » et défend, le 11 octobre 1721, « aux habitans de donner à boire et manger hors du lieu [village] pendant la foire ».

C’est bien la mort qui, selon les ordres du comte de Médavy, gouverneur de la province, que rappelle le consul d’Allex, attend ceux qui tenteraient de franchir la ligne. La menace est mise à exécution à Auriples : en 1722, on arrête « un homme vêtu de blanc, soupçonné de désertion, qui a traversé la ligne » et on le met à mort.

On l’a vu, les dépenses pour s’opposer à l’épidémie sont multiples et pesantes. On ne sait si les 12 000 livres empruntées par Crest ont suffi. Nous avons déjà cité des états de dépenses, on en trouve d’autres dans les archives, par exemple 79 livres versées à l’imprimeur Gilibert, de Valence, pour la confection de billets de santé…

En 1723, une fois l’alerte passée, on essaie de rentrer dans ses frais. À Crest, on revend les barrières installées pour clore la ville et le prix en est employé à payer Besson et Chambon du « louage de leurs boutiques pour le corps de garde ».

En 1723, la dernière épidémie de peste ayant frappé la France s’était éteinte. Elle avait fait plusieurs dizaines de milliers de morts en Provence. Mais elle n’avait pas franchi le mur et la ligne dressés contre elle par nos compatriotes et n’avait pas touché nos régions. À l’épouvante succédaient le soulagement et le bonheur d’avoir été épargné, ce que l’on célébra à Crest le 7 mars 1723 en chantant « le Tédéon [Te Deum] pour la réjouissance de ce que le royaume se trouve délivré du mal contagieux ». Cent soldats « en cartier » (en quartier d’hiver, c’est-à-dire logés à Crest) furent amenés sur la place et on donna « une once de poudre à chacun » pour une belle pétarade. Puis on alluma « un feu de joye a l’issue de vêpres ».

Robert SERRE

Publié le 5 avril 2020

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